Solutréens : les cavaliers du paléolithique


Le solutréen est le mal aimé des espèces constituant la famille des hominidés. Il apparait vers – 30.000 av JC et disparait 15.000 ans plus tard.

On peut lire parfois que les Solutréens n’ont laissé aucune preuve substantielle d’une culture matérielle, leurs magnifiques outils de pierre étant leur seul héritage durable. Pourtant, ils étaient beaucoup plus que cela. Par exemple, il existe des preuves évidentes que les Solutréens ont domestiqué et même monté des chevaux, une suggestion qui a tellement frappé l’imagination du public au XIXe siècle que l’époque des Solutréens a été appelée la « période du cheval de vent ».

Cette idée a été proposée pour la première fois à la suite de la découverte, sur le site du Crot du Charnier, sur le versant sud-est de la Roche de Solutré, dans le centre-est de la France, d’une surface préhistorique épaisse comprenant environ 100 000 ossements de chevaux. La présence de cette couche dite équine, comme on l’a appelée, a également conduit à conclure que les Solutréens conduisaient des hordes de chevaux sur le bord de l’escarpement célèbre en saillie de la Roche de Solutré puis de les  faire rôtir plus facilement les carcasses lors de festins élaborés. Tout ceci n’étant qu’affabulation et ne résistant pas à l’analyse objective des faits.

La Roche de Solutré, haut lieu des Solutréens

La Roche de Solutré est une intrusion rocheuse en forme de coin qui s’étend de manière impressionnante dans le paysage local. Sur son versant sud se trouvaient de nombreux campements en plein air des Solutréens, dont le Crot du Charnier. Pourtant, l’aspect frappant du rocher  suggère qu’il était bien plus qu’une simple rampe de lancement pour les chevaux forcés de sauter vers la mort. Le plus probable est qu’il avait une fonction à la fois cérémonielle et symbolique, bien que ces fonctions soient aujourd’hui perdues pour nous.


Il semble peu probable que les chevaux aient réellement été contraints de se précipiter depuis la Roche de Solutré, les 100 000 ossements équins estimés étant simplement le résultat d’activités de festin sur une longue période (plus de 15.000 ans !). De plus, la proposition selon laquelle les Solutréens ont domestiqué et même monté des chevaux ne doit pas être rejetée à la légère.

Les ouvrages modernes sur l’histoire des poneys et des chevaux attribuent l’origine de certaines espèces à celles introduites en Europe occidentale par les Solutréens, ou plus exactement par les Proto-Solutréens, puisque la couche des équidés de la Roche de Solutré se trouve immédiatement sous la couche solutréenne classique. Les espèces notées à cet égard sont le cheval de ferme ardennais, le poney basque et le poney de selle et de bât camarguais.

LES CAVALIERS PALÉOLITHIQUES

Ces idées nous évoquent la vision de groupes isolés de protosolutréens, le peuple du cheval de vent, comme on les a appelé par ailleurs, traversant l’Europe en tant que cavaliers accomplis et atteignant finalement le sud-ouest de la France et enfin la région cantabrique du nord de l’Espagne. En effet, cette vision quelque peu romantique de l’arrivée des Solutréens en Europe occidentale a contribué à convaincre certains préhistoriens qu’il s’agissait en fait de cavaliers tartares (c’est-à-dire turcs) ou mongols dont la patrie d’origine se trouvait loin à l’est, soit dans ce qui est aujourd’hui les vastes prairies steppiques du nord du Kazakhstan, soit au-delà, dans les environs des monts Altaï de Sibérie et de Mongolie. Par exemple, en 1878, l’historien et écrivain américain James C. Southall (1827-1897) a écrit dans « The Epoch of the Mammoth and the Apparition of Man upon the Earth » :

Chez les Cosaques kirghis [ou kazakhs] d’aujourd’hui, la coutume veut qu’à la mort d’un membre de la tribu, on brûle des quantités d’animaux [c’est-à-dire de chevaux consommés lors des  » repas funéraires « ], proportionnellement au rang du défunt….. Ajoutons simplement que, d’après l’examen de certains crânes humains provenant de cette station – c’est-à-dire de la Roche de Solutré – , le Dr Pruner Bey les a rattachés à une race mongoloïde. S’agissait-il de la métropole d’une tribu tartare – ces tribus qui ont souvent rassemblé (comme dans les batailles de Tscenghis Khan) deux ou trois cent mille cavaliers ?

Des mongols en France …

Le Dr Pruner Bey dont il s’agit dans cet extrait  est Franz Ignaz Pruner (1808-1882). Médecin, ophtalmologue et anthropologue allemand, il a procédé à un examen minutieux de plusieurs « squelettes parfaitement conservés » trouvés dans « une grotte funéraire » près de la Roche de Solutré qui avait été « encastrée entre des dalles ». Leurs crânes, conclut-il, étaient de « type mongol », ce qui implique que la morphologie des peuples de « l’âge du renne », comme l’ont appelé les préhistoriens, présentait des similitudes frappantes avec les populations ouralo-altaïques actuelles d’Eurasie centrale. »

LE CHEVAL DE PRZEVALSKY

Pour étayer ces affirmations extraordinaires, l’anthropologue et archéologue américain Henry Field (1902-1986) a fait une remarque importante. En 1933, il a écrit que l’espèce équine moderne correspondant le plus aux quelque 100 000 ossements trouvés à la Roche de Solutré en France était le cheval de Przevalsky (Equus przewalski), « qui erre maintenant dans les plaines du désert de Gobi ».

Le désert de Gobi est une région désertique sèche et aride de Mongolie et du nord de la Chine, délimitée au nord par les montagnes de l’Altaï et le sud de la Sibérie en général.  Cette constatation a contribué à convaincre Field que les Solutréens étaient en effet une élite équestre d’origine mongole et que « leur apparence était presque identique à celle des Esquimaux modernes ». Ces idées se sont imposées avec une telle force à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que les illustrations de livres montraient parfois les Solutréens sous un aspect mongol.

CHEVAUX AVEC DES BRIDES

Le long débat sur la question de savoir si les Magdaléniens, en tant que successeurs supposés des Solutréens dans le sud-ouest de l’Europe, domestiquaient, élevaient et montaient eux-mêmes des chevaux – n’est peut-être pas sans rapport avec ces faits. Les représentations sculptées de chevaux de cette époque semblent montrer des animais portant des harnais et des brides, tandis que les dommages observés sur les dents des équidés correspondent à des morsures de crèche.

Cheval de Przewalski (Mongolie) Semblable à celui peint dans la grotte de Lascaux.

Pourtant, même si les Magdaléniens ont réellement hérité des Solutréens leurs capacités à monter à cheval, il semble que cela ne se soit pas poursuivi jusqu’à l’Holocène, l’ère géologique qui a succédé au mini-âge glaciaire du premier Dryas , et qui se poursuit encore aujourd’hui. En effet il n’y a aucune preuve convaincante que les cultures mésolithiques qui ont remplacé les peuples magdaléniens du sud-ouest de l’Europe aient domestiqué ou monté des chevaux, et on ne peut pas non plus retrouver la trace de l’équitation parmi les peuples néolithiques qui ont pénétré en Europe occidentale vers 5000 avant notre ère. Il faudra attendre le début du troisième millénaire avant notre ère pour que l’équitation soit réintroduite en Europe occidentale par les peuples de l’âge du bronze d’origine indo-européenne. Comme les Solutréens plus de 12 000 ans plus tôt, ils pourraient également avoir commencé leur progression vers l’ouest à partir d’une patrie située quelque part dans la steppe eurasienne, soit en Asie centrale, soit plus à l’est dans la région de l’Altaï, au sud de la Sibérie.

Depuis la découverte de la grotte Chauvet nous savons à préent que les solutréens avaient au contraire atteint un très haut niveau de culture leur permettant d’inventer les aiguilles pour coudre, la poterie, la domestication du cheval et quantité d’autre apport, la taille des lames sous pression (taille solutréenne). Pour comprendre pourquoi les préhistoriens n’ont pas accepté les tombes de la Roche de Solutré comme preuve d’une haute culture chez les Solutréens et les ont plutôt attribuées à la population aurignacienne préexistante, il faut comprendre la réaction de l’époque aux critiques croissantes selon lesquels les Solutréens étaient des envahisseurs à cheval d’origine tartare ou mongole. En Occident, la conquête d’une grande partie de l’Eurasie par les Mongols, sous la direction de chefs tels que Gengis Khan et Kublai Khan, au cours de la période médiévale, a été considérée comme l’action de barbares assoiffés de sang qui n’ont apporté qu’effusion de sang, tourments et suppression aux cultures civilisées du monde antique. Le fait de savoir que les Solutréens pouvaient eux-mêmes être d’origine tartare ou mongole n’était pas du tout bien accueilli. Cela évoquait l’idée d’envahisseurs orientaux, de hordes en maraude, entrant en Europe à cheval et décimant la population aurignacienne préexistante et hautement civilisée.

En effet, on considère qu’avec la disparition des Solutréens vers 15 000 avant notre ère, la voie était enfin libre pour le développement de l’extraordinaire art rupestre peint créé par la culture magdalénienne émergente. Les Magdaléniens deviendront ainsi les Michel-Ange de l’ère paléolithique, créant de véritables chapelles Sixtines dans les chambres des grottes situées dans les profondeurs de la région franco-cantabrique du sud-ouest de l’Europe. Les Solutréens, en revanche, devaient être oubliés, leur présence dans le sud-ouest de l’Europe n’étant considérée que comme une parenthèse malheureuse dans l’épanouissement progressif de la civilisation occidentale. Ce qui est parfaitement faux comme nous le verrons dans notre travail.

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