D’Adramaoût à Agadir : le secret des Kasbah (1/3)
« Une foule de ksour, masses brunes ou roses hérissées de tourelles… bordent toute la vallée du Draa. Point de murs qui ne soient couverts de moulures, de dessins, et percés de créneaux … les maisons les plus pauvres même sont garnies de clochetons, d’arcades, de balustrades à jour.«
Charles de FOUCAULD, Reconnaissance au Maroc. Note en date du 21 avril 1884.
Le mot kasbah, à lui tout seul, pourrait être déjà vaguement énigmatique. Au Maroc, le mot kasbah est associé à l’image romantique de la kasbah des Oudaïas à Rabat ; il désigne aussi le quartier de Marrakech où, depuis les rois saadiens, habitait le personnel du palais. Il y a aussi la « chaîne des kasbahs », ces gros bastions construits sous le deuxième roi de la dynastie alaouite, Moulay Ismaël. Il avait pris le parti de doter le Maroc de relais fortifiés, destinés à protéger les troupes en déplacement et à lutter contre les dissidents.
Les principaux maillons de cette ligne Maginot de l’époque sont souvent à l’origine des noms de villes marocaines dans lesquels on trouve le mot kasbah, tels : Kasbah Tadla, Kasbah Oualidia, Kasbah Boulaouane, etc. Ces diverses sortes de kasbahs ne sont pas particulièrement énigmatiques ; on connaît leur histoire, leurs fondateurs, leur raison d’être. Quoique très différentes des kasbahs du sud de l’Atlas, les unes et les autres ont en commun la notion de fortification : des murailles, des tours et des entrées en chicanes. En dehors de ce point commun, les kasbahs du Sud, celles qui nous intéressent, sont complètement différentes.
Tout d’abord elles sont construites en terre, en simple terre, brute, sans crépi ni revêtement. Elles donnent une impression de majesté par leurs proportions et la densité de leurs tours, qui Ces tours, très hautes, ont une forme générale tronc-pyramidale assez marquée, évoquant une sorte d’envol vers le ciel. Les formes parfaites de ces tours sont obtenues par des hommes qui ne connaissent ni les mathématiques ni la géométrie dans l’espace. Qui leur a légué, à travers les siècles, cet art de construire ?
Quels ont été les bâtisseurs à l’origine ? Qui a introduit ces techniques ?… Ou qui en a été l’initiateur ? Pourquoi, au Maroc, à quelques exceptions près, ne trouve-t-on ce type d’architecture que dans les vallées présahariennes du Draa, du Dadès et du Ziz ?
Pourquoi trouve-t-on en un autre point du monde – en un seul -, dans les vallées prédésertiques du Hadramaout, au fond de la péninsule Arabique, des constructions absolument identiques ?
Quel est l’âge des plus vieilles kasbahs ?
Quel est l’âge de ces pans de murs déchiquetés qui achèvent de fondre, doucement, sous l’action conjuguée du vent de sable et des pluies, rares mais torrentielles ?
Il faut donc nous reporter à l’époque désertique, lorsque les premiers dromadaires ont dû faire leur apparition, poussés par les chameliers venus du fond de l’Arabie. Ces premiers dromadaires ont dû arriver au moment où les chevaux et les éléphants, n’ayant plus l’humidité nécessaire, ne pouvaient plus survivre.
Ils étaient venus, bien sûr, de ce fond de l’Arabie qui a toujours été la source de tant d’expansions humaines, également la source, le berceau, la terre mère des dromadaires. Grâce à une carte, il est facile de constater que, pour aller du Hadramaout dans le sud du Maroc, il y avait à l’époque deux chemins faciles, l’un longeant la mer Rouge, obliquant par le Sinaï, passant par l’Egypte, la Libye, par la ligne des oasis, et arrivant directement, en longeant le sud de l’Atlas, aux portes des vallées du Draa et du Tafilalet.
Autre variante de cet itinéraire, mais qui implique une petite traversée maritime sur des barges ou des radeaux. Donc pas de problème pour traverser la mer Rouge avec des dromadaires et les amener jusqu’en Ethiopie.
D’Ethiopie, il y a alors un cheminement facile : Soudan, Haute-Egypte, oasis de Siwa et, de l’oasis de Siwa, on retrouve toutes les oasis. Il y a même un passage possible par une rocade sud, par le Tassili et le Tchad.
Il y a au moins trois itinéraires possibles. Disons : deux itinéraires principaux et une variante dans l’un des itinéraires, celui du Sud. On sait que ces routes des dromadaires étaient fréquentées juste avant l’ère chrétienne, donc il y a environ deux mille ans. En effet, les récits des historiens grecs ne mentionnent pas l’existence du dromadaire. Et, à l’époque latine, des textes tardifs nous parlent des premiers dromadaires, dans les butins de guerre.
Mais les troupeaux ne sont pas venus seuls. Des grandes familles nomades, vêtues de bleu, venues avec les troupeaux, ont dû apporter avec elles un système de ravitaillement et des structures sociales qui leur étaient propres.
Il leur fallait des dattes, des produits tinctoriaux pour faire les voiles bleus. Jusqu’au siècle dernier, on pouvait d’ailleurs encore se procurer de l’indigo sur les marchés du Draa. Il leur fallait du grain, de l’orge et du mil, mais aussi du henné, nécessaire pour l’hygiène. Ces produits, nous les trouvons, encore aujourd’hui, pratiquement tous cultivés dans les oasis du Draa. Pour assurer la vie des hommes libres sous la tente, il fallait que d’autres hommes cultivent la terre à leur place.
A partir du moment où l’on installait des sédentaires pour cultiver la terre, il fallait les protéger physiquement, et protéger les nouvelles richesses qu’ils allaient créer.
Se justifie alors le type de construction « kasbah ».
L’origine des kasbahs serait donc, selon toute vraisemblance, liée à la venue du dromadaire dans le Sahara occidental. Venant confirmer cette thèse, de nombreux textes anciens parlent de l’origine himyarite d’une partie importante de la population marocaine.
On peut considérer que les grands seigneurs pasteurs ont dû apporter une forme de civilisation, nouvelle à l’époque, dans le sud du Maroc : cette symbiose : nomades – sédentaires, tentes – kasbahs. N’est-il pas étrange de constater que cette symbiose a survécu à 10.000 kilomètres de distance, jusqu’à nos jours, sur cette terre du Hadramaout, terre mère des bâtisseurs de kasbahs et des éleveurs de dromadaires, terre mère des antiques Himyars chers aux historiens arabes et en particulier à Ibn Khaldoun.
La race des Himyars – appelés aussi Himyarites – était, il y a trente ou quarante siècles, établie en royaumes prospères à l’extrémité de la péninsule Arabique, sur les rives de l’océan Indien. Leur nom est lié au sémantème de base « H – M – R », qui, en langue sud-arabique ancienne, comme en phénicien ou en arabe, désignait la couleur rouge.
Ce nom leur venait peut-être du teint cuivré de leur peau, mais plutôt de l’ « environnement rouge » dans lequel ils vivaient : terre rouge, montagnes rouges, forteresses rouges… On voit encore aujourd’hui des forteresses de terre rouge au Hadramaout, entre Aden et Mascate, dans ce pays que les Egyptiens désignaient sous le nom de pays de Pount, appelé aussi au cours des siècles « côte de l’Encens », « royaume de Saba » ou « pays des Tobba ».
Ces hommes prestigieux auraient donné leur nom à la mer Rouge, et mêlé leur sang à celui des Cananéennes, donnant ainsi la race phénicienne. Leur âge d’or aurait duré du Xe siècle av. J.-C. au début de l’ère chrétienne. Le professeur E.F. Gauthier situe leur période maximale du XXe siècle av. J.-C. au Ve siècle après J.-C.
Ils ont été les Phéniciens de l’océan Indien et de la mer Rouge, excellant dans l’art de construire, de naviguer et de négocier. Les besoins du négoce par voie de terre nécessitaient des « véhicules » robustes et sobres : domestiqué et élevé, le dromadaire allait être pour eux un instrument d’expansion sans précédent. Les Himyars, maîtres des grands espaces grâce à leur mobilité et à leur civilisation avancée, étaient aussi à la pointe des monothéismes. Depuis que la souveraine d’un de leurs royaumes, la reine de Saba, avait ramené de Palestine la foi hébraïque, le pays des Himyars avait dû être assez fortement judaïsé.
Il est donc tout indiqué de poursuivre notre enquête sur le terrain difficile des communautés juives du pays des kasbahs…, terrain difficile parce que toute trace a disparu. Les communautés juives du Draa et du Dadès, encore nombreuses et prospères il y a quelques années, ont totalement émigré… jusqu’au dernier vieillard et au dernier enfant. Il y avait, dans leurs synagogues, des manuscrits secrets.
à suivre .. les Ethiopies atlantéennes, au delà des colonnes d’Hercule