Difficile d’imaginer qu’ici régnait autrefois une luxuriante végétation et que le blé poussait à perte de vue.
Le Sahara est un désert s’étendant de l’océan Atlantique à l’ouest jusqu’à la mer Rouge à l’est, et de la chaîne de l’Atlas au nord jusqu’aux steppes soudanaises au sud. Autrefois, le Sahara n’était pas le désert de pierre et de sable que nous connaissons, mais une région verdoyante et paisible. Tritonide fut le nom que les Grecs donnèrent à l’Égypte saharienne qui exista entre la Sicile et le Hoggar avant que n’émerge l’Égypte du Nil.
Les données scientifiques assurent que les rives de l’ancienne Tritonis ressemblèrent autrefois à un véritable paradis terrestre à la végétation abondante qui prospéra pendant plus de six mille ans. L’auteur sépcialiste du Maghreb Jean Mazel faisait remarquer que « le retrait et la fonte des glaces ont probablement pu transformer successivement une partie de l’actuel Sahara de mers en lacs, de lacs en marécages, de marécages en pâturages, de pâturages en steppes et de steppes en désert minéral ». Le fleuve Triton (ou des Tritons) s’achevait comme le Nil en delta mais, après avoir traversé deux lacs, se jetait en Méditerranée au sein d’un archipel dont ne subsistent aujourd’hui que quelques îles dont Djerba, les Kerkenna et la Sicile, la partie inférieure de cette « pré-Égypte » s’étant effondrée entre Sicile, Tunisie et Tripolitaine où existent trois massifs sous-marins, preuve de terres disparues. Butavand signale d’ailleurs, près des îles Pélagie, « sous un manteau de vase » à 50 mètres de profondeur, les ruines d’un ancien port. C’est néanmoins le Tassili, double contrefort du Hoggar traversé par le fleuve Triton, qui était le coeur et centre suprême de cette Égypte d’avant le Nil. Toutes ces données corroborent ce qu’indiquait Platon dans le Timée :
« De cette île (Atlantis) on pouvait facilement passer aux autres îles (Nyse, Hespera), et de celles-là à tout le continent (Afrique) qui borde tout autour la mer intérieure [Tritonis] ; car ce qui est en deçà du détroit dont nous parlons, les Portes Nyséennes ressemble à un port ayant une entrée étroite ; mais c’est là une véritable mer (Tritonis) et la terre qui l’entoure un véritable continent ».
De fait l’Atlantide tritonienne tire son nom du fleuve Triton et se trouvait en ces temps lointains au voisinage de l’Éthiopie occidentale, nom donné par les Grecs au Maghreb, « au pied de la plus haute montagne de ce pays-là que les Grecs appellent Atlas et qui touche à l’Océan ». Selon un autre auteur, Jean Robin, l’Atlantide se tenait au cœur même du lac Tritonis, centrale atlantéenne secondaire du Hoggar, et c’est là que se trouvait l’île d’Hespéra « assez spacieuse, et pleine d’arbres fruitiers de toutes espèces qui fournissent aux besoins des habitant ». Les Anciens avaient connaissance de cette mer intérieure du Sahara qu’ils dénommaient Tritonis et il faut imaginer le long fleuve des tritons coulant d’un Hoggar verdoyant ! à l’époque où l’Europe grelottait ». Tritonis fut donc originellement une île située au cœur d’un lac immense dont il ne reste aujourd’hui que des résidus. Les données scientifiques actuelles affirment d’ailleurs que les rives de l’ancien Tritonis ont dû être pendant cinq ou six millénaires un véritable paradis terrestre, les vents dominants étaient différents de ceux d’aujourd’hui et les alizés n’ayant fait leur apparition qu’avec la désertification progressive de cette aire géographique.
Le rêve de faire revivre le lac Triton : un projet grandiose … qui a fini par s’évaporer.
En 1882 la France veut faire revivre un sahara vert et envoie le commandant Roudaire pour faire naitre une entreprise grandiose de création d’une mer intérieure saharienne dans laquelle la France coloniale a été sur le point de se lancer. Ce projet pharaonique, qui visait à modifier profondément la géographie d’une vaste région, satisfaisait tout à la fois l’ambition prométhéenne des ingénieurs, la volonté de puissance de la République et la soif de merveilleux du public.
Il s’appuyait initialement sur l’hypothèse d’un détroit situé près de l’actuelle oasis d’Oudref qui aurait relié, d’une part, les grands chotts du Sahara tuniso-algérien, vastes dépressions fermées situées en partie au-dessous du niveau de la mer, alignées d’est en ouest sur plus de 350 km, et, d’autre part, le golfe de Gabès. Cette hypothèse avait été avancée au tout début du XIX siècle par le major anglais James Rennell, un des fondateurs de la géographie historique. Mais c’est surtout le diplomate et archéologue Charles Tissot, dans sa thèse en latin sur le lac Triton (de Tritonide lacu), soutenue en 1863, qui lui a donné sa forme la plus élaborée.
Le point de départ de la démonstration était l’identification du chott Jerid et de son prolongement oriental le chott Fejaj avec ce que les auteurs anciens désignaient, selon les cas, sous le nom de baie ou de lac Triton. Ce lac est mentionné en premier lieu par Hérodote (vers 484-vers 425 avant Jésus-Christ) qui y fait échouer Jason et ses Argonautes. Le dieu Triton apparaît alors et leur montre la voie pour en sortir, ce qui indique l’existence d’une liaison avec le golfe de Gabès. Le périple dit de Scylax (IV siècle avant J.-C.) décrit à son tour le lac comme communiquant toujours avec la mer, mais seulement par un goulet étroit et incertain.
Dès l’époque romaine, la communication semble avoir disparu des textes car le palus Tritonis est situé par Pomponius Mela, au premier siècle de notre ère, à l’intérieur des terres, en arrière de la petite Syrte (le golfe de Gabès actuel). Ptolémée, au II siècle après J.-C., parle de plusieurs lacs, suggérant ainsi que les eaux ont continué à baisser pour ne plus occuper que le fond des dépressions les plus basses. Enfin, au V siècle, le lac s’est transformé en une saline, le lacus Salinarum, situé par Orose à l’ouest de la Tripolitaine. C’est déjà le chott Jerid que l’on retrouvera dans le roman de Jules Verne, l’invasion de la mer.
Les grandes reines berbères : d’Anthinéa à Athéna
Avant même que l’Empire atlante ne s’effondre définitivement sous les flots, une gynécocratie dirigée par les grandes reines Berbères ou reines Libyennes, qui brandissaient l’étendard du faucon blanc et furent le plus souvent des adoratrices du dieu Seth, gouvernait les populations méridionales depuis le centre secondaire atlanto-berbère de Tritonis, émanation secondaire de l’archipel atlante. Cette Égypte méditerranéenne entretenait des relations avec les îles des Hespérides (les Canaries) par voie caravanière de terre et par mer. L’historien grec Hérodote dénommait « Libyens » les habitants du Maghreb septentrional et désignait par là des populations blanches, sédentaires ou nomades, qu’il distinguait des immigrés grecs et phéniciens. Huit siècles avant lui, Homère dépeignait ces contrées à la manière d’un paradis pastoral à l’image idyllique et intemporelle ayant figuré l’âge d’or de l’humanité.
Le Sahara vert était donc fort différent de celui que nous connaissons, ses plaines vertes devenues marécages suite à l’engloutissement de l’Atlantide se dessécheront progressivement au point de se transformer en désert. Nous avons vu que, lorsque le Sahara était encore vert, le lac Tritonis était traversé par la « Piste des éléphants » qui démarrait èn Mauritanie à l’embouchure de l’Oued Draa et aboutissait à l’oasis de Siwa, au sortir d’Égypte, dont l’origine plongeait dans la nuit des âges. L’oasis de Siwa, patrie des Ammoniens qui ne sont pas sans lien avec les « rois-pasteurs » de Colchide, avait en outre la réputation d’être un lieu d’oracle et un sanctuaire du dieu Amon qu’Alexandre « aux deux cornes » viendra lui-même consulter. C’est également en empruntant cette « Piste des éléphants » que, des siècles plus tard, les Garamantes, peuple à chevaux et chars dirigé par des reines rouges, s’établiront vers Aoudjila, ancien territoire des berbères Augilae. Ce n’est que suite à l’engloutissement de l’archipel atlantique, lorsque la désertification s’intensifia petit à petit au Sahara, que les plaines jadis verdoyantes et luxuriantes qui furent parmi les premières régions atteintes par le dessèchement seront progressivement abandonnées au profit des montagnes, l’homme cherchant des lieux plus cléments et l’altitude corrigeant dans une certaine mesure les effets de la désertification.
La Piste des éléphants et les routes caravanières.
C’est l’exploratrice et anthropologue Marcelle Weissen-Szumlanska qui lors de ses voyages exhuma une ancienne route caravanière immémoriale reliant via le Hoggar, le Cap Soloeis et la Mauritanie à Abydos où, selon la légende, repose la tête momifiée d’Osiris, route le long de laquelle reposaient les Anciens Rois dont les temples souterrains étaient censés conserver des fragments de la momie du dieu. La Piste des éléphants menait, via l’oasis de Siwa, de Busiris à Tritonis où s’élevait la cité de Saïs sur laquelle régnait une reine dénommée Neith ou encore Anthinéa et dont le souvenir transcende l’histoire classique pour s’ancrer dans une époque mythique remontant peut-être même aux temps antédiluviens. Neith/Anthinéa fut ensuite divinisée et devint ni plus ni moins qu’Athéna. Athéna Tritonide vit le jour, selon la tradition grecque, près du lac Tritonis dans le Sud tunisien et, lorsque le Sahara commença progressivement à s’assécher, elle créa des colonies en Méditerranée orientale. Les mythes racontent qu’en Égypte, Athéna Tritonide, la grande reine berbère libyenne fonda la cité de Saïs et qu’en Grèce, elle fut à l’origine d’Athènes. Les Égyptiens reconnaissaient l’origine libyenne de Neith, venue selon leur mythologie depuis la Libye pour s’établir dans le delta du Nil. Certains portraits de dieux égyptiens, comme Ament (Mout), les montrent pourvus d’attributs et bijoux typiquement berbères.
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