Fulcanelli nous avez révélé la véritable personnalité d’un grand philosophe et initié dont l’œuvre, mutilée à dessein, devait embrasser l’étendue de toute la science : Cyrano de Bergerac. Et afin de différencier cet hermétiste de l’image de bretteur grandiloquent que la pièce d’Edmond Rostand nous légua, Fulcanelli le baptisa : de Cyrano Bergerac. D’une année son cadet, le propriétaire du château se nommait Roger, Comte de Bussy Rabutin. Au service de l’armée française, il participa à la campagne des Flandres où Cyrano fut blessé en 1640, durant le siège d’Arras. Au moment où le Comte de Bussy Rabutin laissait son testament philosophal sur les murs de son château Sir Isaac Newton découvrait de son côté la voie du Mercure (Nous en reparlerons) dont découlera la théorie de la gravitation universelle qui n’en déplaise à certains une conséquence des réflexions alchimiques de Newton.
On peut imaginer que ces deux philosophes et écrivains français de même âge, tous deux gentilshommes et hommes d’esprit, se connurent particulièrement bien. Et leurs conversations ne portèrent sans doute pas sur les seules chroniques scandaleuses de la cour, comme l’apparence des premiers écrits de Bussy Rabutin pourraient le laisser supposer. Disgracié et exilé en ses terres de Bourgogne, il eut sans doute le temps nécessaire pour mettre en pratique les enseignements reçus et transmettre, au travers des peintures murales de son château, les secrets qu’il avait pu percer d’une science millénaire.
« Ma maison de Bussy, portrait d’un Adepte»
Roger de Bussy-Rabutin est né en 1618 à Épiry, près d’Autun, dans le manoir qui était la résidence habituelle de son père. Léonor de Rabutin écourte les études de son fils dans les collèges jésuites d’Autun puis de Paris (collège de Clermont) pour guider ses premiers pas dans la carrière militaire : Roger suit sa première campagne en 1634, découvre la vie de soldat, ses dangers et ses plaisirs. Déçu de ne pas voir ses mérites reconnus, il quitte l’armée, se marie en 1643 avec une cousine, Gabrielle de Toulongeon, petite-fille de Jeanne de Chantal, puis reprend du service auprès de Louis II de Bourbon que la victoire de Rocroi vient de couvrir de gloire. Malgré sa répugnance, il s’engage d’abord aux côtés de ce prince en 1650 lorsque la Fronde des princes éclate, mais reste fidèle au jeune Louis XIV en 1651. Il contribue activement à maintenir dans l’obéissance le Nivernais, dont il est lieutenant de roi. Il en est récompensé : mestre de camp général de la cavalerie légère en 1653, lieutenant général des armées royales en 1654. Cependant, en dépit de tous ses efforts, il n’atteindra jamais ni la dignité de maréchal de France, ni le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit. Au contraire, ses fredaines de Roissy pendant le carnaval lui valent en 1659 un premier exil, et le scandale provoqué par l’Histoire amoureuse des Gaules lui attire les foudres royales ; Louis XIV le fait jeter à la Bastille en 1665, ne l’autorise à en sortir qu’en 1666 puis l’envoie en Bourgogne. Le roi ne lui rendra jamais sa faveur, même s’il lui permet d’effectuer quelques séjours à Paris puis de revenir à la cour en 1682, au bout de dix-sept ans. Bussy comprend que son temps est passé ; il se contente sagement de quelques grâces pécuniaires dont une pension de quatre mille livres, et place alors ses ambitions dans la nomination à la députation de la noblesse de Bourgogne : il doit en devenir l’élu en 1694, mais meurt en 1693… En réalité, Bussy est déjà entré dans l’histoire littéraire. Il avait fait goûter son esprit par des vers et des chansons ; il fréquentait les précieuses parmi lesquelles figuraient sa maîtresse, Élisabeth de Cheverny, marquise de Montglas, ainsi que sa seconde épouse, Louise de Rouville. Louis XIV avait apprécié ses Maximes d’amour, dont la première impression date de 1664, et avait autorisé son élection à l’Académie française en 1665. Le scandale de son roman à clefs est dû à l’esprit avec lequel il y a peint la société de cour de l’époque. Il continuera à écrire pendant sa prison et son exil : Mémoires, lettres, vers et chansons, Discours à sa famille, Épigrammes, Histoire généalogique de la maison de Rabutin… Il entretient soigneusement sa réputation, devient un juge en matière de bel esprit. Ce maître épistolier est celui qui a révélé les talents épistolaires de sa cousine, Mme de Sévigné, qu’il avait portraiturée dans son roman sous le nom de Mme de Cheneville !
Sans être parvenu aux plus hauts honneurs, ce singulier personnage a mené une belle carrière militaire ; l’écrivain reste lu, le mémorialiste cité, l’épistolier étudié. Or il a fait à ses châteaux une belle part dans son œuvre. S’il n’a pas véritablement influencé la construction du corps de logis du château de Bussy, il a conçu la décoration de ses appartements, de sorte qu’aujourd’hui encore l’on y sent sa présence et son esprit.
« Langue des oiseaux et cabale solaire »
De nos jours, la première pièce dans laquelle pénètre le visiteur lorsqu’il découvre le château est située à droite du vestibule. Première singularité de cette Salle des Devises, le rez-de-chaussée était rarement le niveau principal au XVIIe siècle. Bussy ne dérogeait pas à la règle, puisqu’il avait installé son appartement à l’étage, au piano nobile. Toutefois, la riche ornementation de cette pièce signifie que Roger de Rabutin la destinait à une véritable fonction. La Salle des Devises est une antichambre de même dimension que l’Antichambre des Hommes de guerre de l’étage noble. Semblant ne guère avoir subi de modifications, elle possède en grande partie son décor d’origine, telles les tomettes vernies hexagonales : le carrelage autrefois noir et jaune garde quelques traces de cette polychromie.
Le visiteur est accueilli par le maître des lieux au port de tête majestueux et dont le regard puissant est tourné vers la porte. Un portrait en buste de Roger de Rabutin, peint par Claude Lefebvre – élève de Charles Le Brun –, orne en effet la cheminée. Il est sommé des armes des Rabutin surmontées de la couronne comtale, témoins de l’ancienneté et du prestige de la lignée. En sa qualité de lieutenant général du roi, Bussy arbore fièrement l’armure et l’écharpe blanche, marques de commandement. La copie gravée du portrait par Gérard Edelinck a servi d’illustration à la première édition des Mémoires en 1694 ; elle indique que Bussy a été portraituré en 1673 à l’âge de 55 ans.
Comme nous savons par une lettre à Mlle d’Armentières que les travaux d’ornementation du château avaient déjà débuté en octobre 1667, le décor de la Salle des Devises devait être achevé à l’époque de la gravure.
Même si les devises ne sont pas dues à la main d’un grand maître, mais plutôt à un atelier bourguignon peu expérimenté – toutefois dans de tels jeux, « le but n’est pas l’émotion, mais la persuasion » – , le décor de cette salle est exceptionnel. D’abord parce qu’il ne demeure pratiquement aucun cycle de ce type aussi complet en France, et surtout en raison du programme décoratif développé ici, puisque Roger de Rabutin a cherché par ces devises à esquisser sonportrait emblématique. En effet, le décor énigmatique reflète la personnalité et les états d’âme du maitre des lieux.
D’abord au collège d’Autun, puis au fameux collège de Clermont à Paris, le jeune Bussy avait appris à composer des emblèmes et des devises sur un thème donné. Comme les autres élèves, il avait dû, lors des fêtes de fin d’année, interpréter en public des compositions emblématiques commandées à des peintres fameux et exposées dans la cour. Roger de Rabutin s’inscrivait aussi pleinement dans le goût de son époque, car les courtisans pratiquaient ces jeux pour mettre en valeur leurs qualités ou exprimer leurs passions. Ils arboraient des devises dans les carrousels et autres joutes. Ami proche de Bussy, le duc de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la chambre du roi et ordonnateur des fêtes, conçut de nombreux carrousels ou ballets dans lesquels chaque participant portait fièrement une devise, notamment pour les ballets des Plaisirs de l’île enchantée en 1664 et surtout à l’occasion de La Brillante journée ou le Carrousel des galants Maures donné à Versailles en 1685. Les chevaliers de la cour qui participaient à ce spectacle équestre portaient tous un bouclier orné d’une devise qui était expliquée par un madrigal publié dans le livret de ces réjouissances. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Roger de Bussy-Rabutin, homme cultivé à l’esprit vif et vaillant militaire, se soit piqué à ce jeu.
La plupart d’entre-elles sont citées par les grands théoriciens jésuites de l’emblématique tels le Père Le Moyne dans son Art des Devises publié en 1666, le Père Bouhours, son ami et correspondant, dans Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène (1671), ainsi que dans les différents ouvrages du Père Ménestrier traitant de ce domaine : L’Art des emblèmes (1662), le Traité des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles public (1669) ou encore La Philosophie des images (1682). Pour comprendre ce décor, il faut débuter la lecture par la cheminée et par les emblèmes qui encadrent le portrait du maître des lieux.
A présent nous allons nous intéresser en particulier à trois tableaux qui figurent en miroir du portrait et comprendre que ces devises doivent se lire sur plusieurs niveaux, celui du trait d’esprit et celui de la cabale solaire.
La Cause en est cachée
« La cause en est cachée », présente un volcan en éruption crachant de la lave dans toutes les directions. Elle est très souvent considérée comme une devise galante. Un traité publié en 1654 évoque une devise avec le même titre dont le corps est constitué par l’Etna crachant des flammes de toutes parts. L’auteur indique que cette devise pouvait être utilisée par un amant qui souhaitait tenir secrète la cause de son amour. Mais si cette devise avait été conçue pour évoquer les amours de Bussy, elle n’aurait pas été installée sous son portrait ; puisqu’elle s’inscrit dans un triptyque, il faut la lire avec celles qui l’accompagnent : à gauche, un diamant avec pour motto : « Plus de solidité que d’éclat » ; à droite, une montre et pour titre : « Calme à l’extérieur mouvementée à l’intérieur ».
Le premier sens « exotérique » s’interprète ainsi : Solide et maître de lui, le soldat va sagement vers un but qu’il ne révèle pas, car à la guerre comme dans les grandes affaires, le secret est l’une des clefs du succès. Mais les deux autres devises à droite et à gauche du linteau donnent un tout autre sens !
Un auteur sous le pseudonyme de Kamala-Jnana, (en fait Jean Deleuvre) dans «Comment Dieu créa l’univers» écrit : «Parfois également quelques mondes plus incandescents que les autres arrivent à extirper de leur sein des jets de lave en fusion. Ils les projettent alors dans l’espace sous l’aspect d’une pluie de sang, de lave, mais au contact d’une zone moins chaude, ce feu se transforme en vapeur, condense et retombe sur la masse asséchée qui se teinte en la buvant ».
Selon la genèse, la terre, en ses débuts, était environnée de ténèbres et seul à sa surface se mouvait l’esprit de Dieu. La terre représente, dans notre petit monde, notre Materia prima ou pierre des philosophes qu’il ne faut pas confondre avec la pierre philosophale. Puis Dieu dit : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut, et Dieu vit que la lumière était bonne et Dieu sépara la lumière des ténèbres ».
Sans doute l’artiste a-t-il voulu attirer l’attention du chercheur sur cette phase capitale de l’œuvre qui veut qu’il apprenne à extraire de son chaos primordial sa lumière des sages, c’est-à-dire cette matière qui rutile lorsqu’on l’extrait de sa gangue noirâtre par une ingénieuse industrie. Mais allons au-delà de la phase, ici présentée, afin d’indiquer au chercheur comment se présente cette lumière des sages après qu’elle soit extraite, projetée hors du chaos primordial. Pour cela, empruntons un nouveau passage à Kamala-Jnana :
«À mesure que la matière se refroidit, les vapeurs se condensent et retombent en grosses gouttes sur la terre. Bientôt, sous ces eaux qui pénètrent jusqu’au centre des mondes miniatures, la terre est submergée, dissoute. Les corpuscules solides se changent en vase pendant que l’eau de feu, ayant tiré la quintessence de la trinité terrestre surnage au-dessus, sous forme d’une huile rougeâtre frangée d’or. L’artiste verra qu’il y a deux sortes de liquides ». Kamala-Jnana fournit ensuite une information précieuse au sujet du corps qui demeure au fond du vase, après la décantation de l’un de ces liquides : «L’artiste rassemblera en un seul lieu, dans un seul récipient bien bouché, le précieux liquide. Puis quand il aura coupé la tête de son corbeau, il verra apparaître sa terre adamique sous forme de sable très fin, très noir et très puant ».
À la gauche du tableau central, un tableau plus petit représente une table recouverte d’une nappe pourpre frangée d’or. Un objet dont la structure paraît cristalline et pyramidale repose sur cette table. La devise : «Plus de solidité que d’éclat », atteste que ce tableau figure la marche du soleil des sages dans l’œuvre philosophale.
Cette marche, telle que l’enseigna Fulcanelli, est réglée par ce cristal inconnu appelé sel de sapience, esprit ou feu incarné. Or ce cristal est ici posé sur une table. On connaît, dans la tradition, l’importance de l’antique table smaralgine. Celle-ci se compose, dit-on, de deux colonnes de marbre vert et d’une plaque d’émeraude artificielle. Cette fameuse table est appelée émeraude des philosophes, ainsi que la rosée du printemps. Le nom même de cette matière évoque la couleur verte et c’est cette couleur franche qui permet, selon Arnauld de Villeneuve, de lui donner tous les épithètes qui dérobent au profane sa véritable nature. On l’a dotée, nous dit-il, du nom des arbres, des feuilles, des herbes, de tout ce qui présente une coloration verte : « afin de tromper les insensés ». Notre émeraude qui reçut le nom de vitriol philosophique reçut aussi celui d’huile de victoire, et certains, jouant à dessein sur l’assonance, l’ont dénommée huile de verre.
La nappe pourpre frangée d’or renvoie à la couleur propre au soleil, père de l’œuvre, s’élabore de la substance même du mercure et du sel ce que ce tableau nous permet de découvrir. Le tableau situé à la droite du tableau central représente une table recouverte d’une nappe verte, frangée d’or, sur laquelle repose une montre reliée à une clef par un cordon torsadé.
Symbole identique à celui de l’horloge, la montre sert à mesurer le temps. Prise pour hiéroglyphe du temps, elle est ainsi regardée comme l’emblème principal du vieux Saturne. C’est en effet grâce au temps que la lumière sera, peu à peu, dispensée. Aussi est-ce la raison pour laquelle figure-t-on le temps, seul maître de la sagesse, sous l’aspect de vieillards ou de philosophes las et fatigués. Le nom même de Saturne dévoile un secret capital, car il désigne aussi la clef majeure du grand art, ce menstrue universel dont il précise la qualité, en même temps que la matière obscure et la nature primordiale.
Ainsi se trouvent unis ces trois symboles pour préciser les caractéristiques de la première matière, indispensable à la réalisation du grand œuvre.
«Deux corps suffisent pour accomplir le magistère, du début à la fin. Si nous devons en admettre un troisième, nous le trouverons dans celui qui résulte de leur assemblage et naît de leur destruction réciproque. Car vous aurez beau chercher, multiplier les essais, vous ne trouverez jamais d’autres parents de la pierre que les deux corps susdits, qualifiés principes, desquels provient le troisième, héritier des qualités et vertus mixtionnées de ses géniteurs». Fulcanelli
Trouvez donc le sel et le mercure des philosophes, la semence métallique étant incluse dans l’un d’eux…