Du sacerdoce primordial et de l’onction


La communion au Graal

Le rituel du Graal et sa transmission est lié au messianisme. Il conviendra de distinguer deux messianisme fondamentaux : le messianisme sacerdotal (incarné par Jacques dit le Juste) et le messianisme royal incarné par Joshua ben Joseph, autrement dit Jésus. Au départ ces deux messianismes n’ont font qu’un avant de se distinguer. Nous verrons pourquoi.

Le vocable « messie » provient de l’hébreu mashiah et de l’araméen meshihâ, dont le sens biblique est « celui qui est oint » (d’huile). La France a perpétué la tradition messianique, le dernier Roi de France oint fut Charles X sacré à Reims le 29 mai 1825.

Le rituel de l’onction est connu dans tout le Proche-Orient ancien à différentes époques. Dans la Bible hébraïque, l’onction est conférée à des personnes investies d’une mission par Dieu. C’est ainsi que, en raison de sa fonction de médiateur entre Dieu et les hommes, le roi d’Israël ou de Juda est « oint » par des prêtres ou des prophètes. Le caractère sacré du grand prêtre du Temple de Jérusalem et des prêtres y officiant explique de la même manière pourquoi ils reçoivent l’onction. Le prophète, en tant que porte-parole de Dieu — au sens littéral —, est également soumis au rite de l’huile, même si, dans les textes, seul le prophète Élisée reçoit explicitement l’onction du prophète Élie (Premier Livre des Rois, 19, 15-16). Le locuteur en Isaïe 61 prétend cependant aussi avoir reçu l’esprit de Dieu et avoir été oint pour prêcher.

Les idéologies royale et sacerdotale face aux aléas de l’Histoire

Un lien intime entre le peuple d’Israël et son Dieu YHWH s’est tissé à travers les siècles. Il prend la forme de l’Alliance de l’idéologie du Temple et de la royauté Pourtant, les assauts répétés des Babyloniens contre le royaume de Juda et sa capitale Jérusalem, au VIè siècle avant J.-C., mettent à mal ce lien. Les événements contredisent même la puissance de YHWH sur terre. La dernière déportation de l’élite judéenne, en 587, oblige le roi et sa cour à partir en captivité en Babylonie ; le Temple de Jérusalem est détruit. En 538, le royaume babylonien passe sous le joug du roi perse Cyrus le Grand, qui entend administrer son vaste empire en instituant une relative autonomie religieuse et politique dans les régions. La même année, il proclame un édit en ce sens. Des exilés reviennent en Judée et à Jérusalem mais le dernier roi de Juda demeure à la cour de Cyrus. Plusieurs questions agitent alors les Juifs : les exilés sont-ils plus légitimes dans l’exercice du pouvoir que les Juifs restés en Judée ? Doit-on rétablir l’institution royale ? Le roi garde-t-il une primauté sur le grand prêtre ? Des Juifs commencent à critiquer vertement l’institution royale.

La parabole des arbres qui refusent la royauté (Juges, 9, 7-15) en est peut-être le chef-d’œuvre. D’autres attendent un roi meilleur, qui rétablira l’harmonie entre YHWH et son peuple, comme Isaïe (7, 10-14) le demande. Se dégage en fait l’attente d’un nouveau roi à l’image idéalisée du roi David. L’idéologie royale davidique telle qu’elle s’est développée aux VIIIè et VIIè siècles avant J.-C. peut se résumer dans une équation : à l’Alliance éternelle du peuple élu avec YHWH doit correspondre une dynastie royale éternelle pour établir le royaume éternel voulu par Dieu. Un tel axiome est proclamé dans le chapitre 7 du Deuxième Livre de Samuel ; le chapitre onzième d’Isaïe annonce de son côté l’avènement d’un nouveau descendant de la « souche de Jessé le père de David. À l’idéologie royale classique affirmant l’invincibilité militaire du souverain, le milieu rédacteur ajoute l’inspiration de l’esprit divin pour le nouveau David. D’autres Juifs promeuvent un pouvoir partagé entre le roi et le grand prêtre, les « deux hommes désignés par l’huile, selon Zacharie (4, 14). Le même prophète ne signale cependant que le couronnement du grand prêtre (6, 11-13). Il marque là le souhait d’une théocratie en Judée. Les textes bibliques, remaniés à plusieurs reprises, portent la trace des débats qui traversent le judaïsme au cours des siècles. Parallèlement, les idées hellénistiques pénètrent peu à peu la Méditerranée orientale. L’influence grecque en Judée se traduit notamment par une interrogation sur le concept de peuple élu et sur ses rapports avec les nations. Certains Juifs semblent promouvoir l’idée d’une royauté pacifique et universelle (Zacharie, 9, 9-10), et non guerrière. L’harmonie du monde serait ainsi restaurée. De la critique de la royauté, on passe progressivement à des interrogations sur sa nature même après l’exil, sur sa primauté ou non sur le grand pontificat, sur le rôle du roi vis-à-vis des Juifs et des nations. Les attentes royales et sacerdotales traversent le judaïsme des VIe-Ille siècles, mais aucune de ces attentes ne peut être interprétée comme l’espérance en la venue à la fin des temps d’un personnage porteur de salut pour le peuple. Toutefois, l’idée ou plutôt les idées d’un salut font leur chemin et façonnent à jamais la conscience messianique à venir.

Graal sacerdotal

Du sacerdoce primordial

Le cosmos comporte deux aspects fondamentaux : par les perceptions des sens nous le saisissons comme soumis au temps et à l’espace; c’est alors un ensemble de mécanismes qui se superposent et s’enchevêtrent; il est formé d’une matière plus ou moins dense et opaque; il consiste dans une juxtaposition et une succession de données fluctuantes, qui se limitent et se chassent les unes les autres; c’est le monde phénoménal, qu’on peut appeler aussi, d’après un terme hindou, l’univers de la maya. Dès que la pensée tente de l’expliquer et de le gouverner, elle se trouve contrainte de le dépasser; elle aboutit ainsi à l’idée d’un cosmos dynamique, dont les lois sont tout autres; dans ce cosmos sous-jacent, l’espace et le temps se relâchent de leur tyrannie; la matière se dépouille de son opacité, et ne peut être représentée par aucune image empruntée au domaine des sensations; seuls des systèmes d’équations peuvent exprimer dans une certaine mesure, pour des mathématiciens de génie, cette réalité plus profonde, invisible et intangible en elle-même, accessible seulement par l’intermédiaire des perceptions; cet univers explicatif, ou univers de la pensée pure, est à la fois l’univers réel et l’univers de l’énergie radiante. Il est le support et la substance des choses physiques, qui deviennent dès lors un tissu d’apparences superficielles. Si l’on s’en tient toutefois aux fluctuations phénoménales, il est un néant d’univers, un nirvâna, puisqu’il ne correspond à aucune figure spatio-temporelle, et à rien de directement saisissable par les sens.

La distinction entre cosmos phénoménal (la matrice) et cosmos dynamique constitua l’axiome essentiel de la religion avant de devenir, par d’autres voies, une vue primordiale de la science. Les toutes premières formes religieuses reposèrent sur cette idée que, dans les replis du monde physique, est caché un univers de mana, auquel l’esprit de l’homme peut accéder grâce à certaines disciplines. L’initiation eut, dès le principe, pour but de faire mourir l’homme au domaine des sensations pour le faire pénétrer (in-ire) dans celui de l’énergie supérieure. Le rituel de mort et de résurrection, avec les pratiques ascétiques qui en sont inséparables, est tout entier fondé sur l’existence d’un royaume de radiance, enfoui dans le « monde souterrain a, c’est-à-dire dans les ténèbres de la matière opaque et mécanisée.

 
 
 
 
 
 
 

Le prêtre – la fonction d’intercesseur – peut dès lors se définir comme étant celle de l’homme qui établit la liaison entre l’univers physique, soumis à l’espace-temps, et l’univers dynamique, soustrait à cette sujétion. Ajoutons, qu’il effectue cette liaison dans l’intérêt du groupe social.

RÔLE SACERDOTAL DE L’ANCÊTRE

Si, au demeurant, l’on scrute de près la définition du sacerdoce, on pressent que la liaison entre l’univers physique et l’univers dynamique ne peut s’établir, dans une communauté quelconque, que grâce à une personnalité initiatrice, qui a l’expérience de l’un et l’autre cosmos. Cette personnalité initiatrice se rencontre, en fait, partout; c’est l’ancêtre. Par ce mot, comme par le vocable père, il ne faut point entendre primairement l’ancêtre selon le sang, mais, avant tout, l’inaugurateur des rites, autrement dit le créateur spirituel, celui qui ouvre l’accès à la sursature. Il peut fort bien advenir que l’an­cêtre ait pour descendants des êtres de race différente.

L’ancêtre apparaît par là comme le grand prêtre, qui a branché sur l’univers dynamique la collectivité issue de lui. Chez quantité de peuplades le sacerdoce consistera à repro­duire ses gestes, à répéter ses paroles, à imiter sa vie, à met­tre les pas dans les siens : par là on s’imprégnera du mana qui lui était propre, et l’on bénéficiera de la puissance que lui donnait, sur les mécanismes de l’univers, phénoménal, ce mana, dont il surabondait. On ne l’honore point, notons-le, comme mort; le culte des mânes est toujours très tardif, et quantité de tribus primitives l’ignorent; on le révère comme vivant; on le fait au surplus revivre du fait qu’on s’unit à lui en le copiant. En nombre de lieux, les nouveaux initiés sont identifiés avec lui, qui fut le proto-initié, devenu peu à peu un dieu, un héros, un cabire, etc.

Melchisedeq

Le premier ancêtre, en raison même de sa position initiale de surhomme, fut le premier Roi du Monde, c’est-à-dire le premier organisateur et le premier diri­geant de l’institution théocratique, dont le but était de rappe­ler aux hommes l’état primitif de radiance, et de les y rame­ner par des disciplines appropriées. Ce groupement théocrati­que ne fut pas instauré en cours d’évolution. Il résulta de l’ori­gine et de la constitution mêmes de l’humanité; il fut la suite directe du ravalement au niveau spatio-temporel. La religion, autrement dit la certitude qu’il existe un royaume de Dieu sous-jacent à l’univers physique et que le sacré forme la sub­stance immortelle des êtres, fut une notion primordiale, étroite­ment soudée à l’institution théocratique. Ou plutôt, elle ne fut pas une notion; ce fut, d’abord, une expérience vécue, que les pratiques ascétiques de l’initiation eurent pour but de raviver dans l’âme de chaque être humain. L’organisation théocrati­que, qui avait pour objet d’initier les hommes, — et qui se survécut, lors de la décadence du paganisme, dans les Mystè­res, — se rattachait ainsi au rôle de père qui fut celui du pre­mier ancêtre. D’après les traditions anciennes, elle fut mise au point par Seth et par Enos, les deux successeurs immédiats du surhomme-premier homme comme Rois du Monde.

à venir :  l’institution du rite sacrificiel et son rôle dans la genèse de l’humanité Jésus messie, fils d’Aaron.



 


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