Gnose et mystique nuptiale : Pistis Sophia


Christ androgyne

Qu’est ce que la Gnose ?

On peut d’abord ire que c’est un courant sotériologique apparut en Asie Mineure dans la deuxième moitié du II ème siècle en Asie mineure et à Alexandrie. Les premières mentions se trouvent dans la Bible et on le reconnait surtout au travers de l’Apocalypse de Jean.

La Gnose entende d’abord répondre à quelques questions :

Qui sommes-nous? que sommes-nous devenus ? où sommes-nous? où avons-nous été jetés? où allons-nous ?

Le monde est le résultat d’un piège mis en place par des puissances mauvaises. Le gnostique, et lui seul, peut s’y soustraire grâce à l’étincelle de connaissance (gnôsis, en grec) enfouie au plus profond de lui-même. Mais la gnôsis n’est pas donnée à tout le monde. C’est un don divin, réservé à des élus, qui leur permet de s’unir à Dieu ou mieux de le réintégrer.

Un texte gnostique intitulé L’Étranger, appartenant à l’ensemble de documents découverts à Nag Hammadi (abréviation : NH), expose bien ce mode de pensée.

C’est la révélation d’un ange, Youel, à un « initié », appelé Allogène (étranger, en grec) :

Youel me dit: « Tous ne peuvent pas entendre ces propos, ô Allogène. Tu as été revêtu d’une grande puissance par le Père du Tout […] afin que tu puisses discerner ce qui est difficile à discerner et connaître ce qui est inconnaissable pour la plupart. Afin que tu remontes vers Celui qui est tien» (NH XI, 3 50, 21-34).

Le contenu des révélations et la participation à la connaissance transforment l’initié, le rendent divin :
Je retournai à moi-même, ayant contemplé la lumière autour de moi et le bien qui était en moi. Je devins Dieu, dit Allogène (ibid., 52, 10-12).

On comprend d’emblée ce que cette religion gnostique pouvait avoir de déplaisant, voire d’arrogant, aux yeux des autorités ecclésiastiques de l’époque. Le christianisme se voulait une religion pour tous. Le salut est proposé à tous dans la prédication publique de l’Évangile. La religion gnostique, en revanche, se veut une religion réservée à des élus : on ne choisit pas d’être gnostique. On l’est depuis toujours. Il n’y a pas, du moins en théorie, de conversion au gnosticisme.

Les Pères de l’Église se soucièrent de répondre à ces théologiens qui se prétendaient les seuls héritiers des paroles cachées de Jésus.

Convaincus d’être les seuls dépositaires de traditions secrètes, les gnostiques ont composé une vaste littérature qui s’interroge sur les rapports entre l’homme, l’univers et Dieu. Des mythes complexes et séduisants mettent en scène le drame de la création. Une interprétation bouleversante est donnée du récit de la Genèse : le dieu de l’Ancien Testament n’est plus à leurs yeux un dieu de justice mais un dieu de tromperie car il a attaché l’homme aux lourdes chaînes du destin pour lui faire oublier ses origines divines. Le dieu véritable, lui, est étranger à la création. Il se tient solitaire dans un abîme de lumière.

Le mépris du monde et de la création a dicté aux gnostiques une éthique placée sous le signe du détachement. Le refus du mariage et de la procréation en est l’aspect le plus spectaculaire. Cependant, il ne pouvait pas être poussé à l’extrême, sous peine de faire disparaître, en quelques générations, toute communauté de foi gnostique. Un jeu subtil en découle entre prosélytisme et conscience élitiste.

Mystique nuptiale

LA MYSTIQUE NUPTIALE

La pensée gnostique fonctionne par pôles d’opposition, ce qui confère à ses textes une tension rare. L’antinomie fondamentale est constituée par le bas et le haut. Autour des pôles « bas » et « haut » s’ordonne et se structure tout un réseau de termes antinomiques visant à charger le pôle d’en bas d’attributs négatifs et celui d’en haut d’attributs positifs. L’opposition fondamentale qui caractérise le pôle d’en bas par rapport à son opposé est celle de l’ignorance par rapport à la connaissance.

Ainsi les images et les métaphores employées par les auteurs s’ordonnent selon une structure polaire rigide et obéissent à une logique précise, au-delà du désordre apparent du langage symbolique des gnostiques.

Si le monde d’en bas est le théâtre d’une lutte acharnée de l’âme contre les archontes, le monde d’en haut représente le repos. A l’angoisse se substitue l’apaisement. À la terreur, la joie. Au désordre d’une création défectueuse, l’ordre parfait des éons; à la souillure du sexe, la purification; au sordide, l’éclat de la beauté; au bruit discordant, le silence céleste; au désir insatisfait et éphémère, l’éternité de la plénitude; à la mort, la vie.

Ces métaphores, et bien d’autres, parcourent la littérature gnostique qui est faite de pages angoissées comme de pages empreintes d’une grande sérénité.

Pour illustrer globalement la positivité du monde céleste, il fallait aux gnostiques un symbole puissant: ils l’ont trouvé dans le symbole du mariage et dans le riche cortège de métaphores qui l’entourent. Ils ont, au fil des textes, élaboré une mystique nuptiale qui a sa place parmi les grandes constructions mystiques de l’histoire de la pensée.


Le mariage céleste

Pour décrire l’union entre l’âme et l’esprit, le gnostique et son double, quoi de mieux que le symbole du mariage ? Symbole très riche en images, il se prête bien à une mise en scène grandiose et permet de nombreux jeux allégoriques.

Deux acteurs : le fiancé et la fiancée, somptueusement parée; un lieu: la chambre nuptiale, qui baigne dans une atmosphère enivrante faite de lumières et de parfums. L’ensemble dominé par l’amour. Amour sublimé et épuré car ce mariage n’est pas terrestre mais céleste.

Ce thème est traité par les auteurs gnostiques dans des registres différents : il a donné lieu à des élaborations philosophiques dans les grands textes spéculatifs valentiniens mais aussi à des récits romanesques empreints d’un érotisme subtil.

Symbole récapitulatif du plérôme, le mariage en présente les caractéristiques.

Le mariage est symbole de connaissance : l’âme reconnaît son époux dont elle avait oublié les traits, lors de sa chute de la maison paternelle, et elle se souvient de ses origines (Traité de l’interprétation sur l’âme, NH II,6 132,21-25).

Le mariage est symbole de vérité : il s’op­pose à la ruse et au mensonge du monde inférieur, signifié par les unions trompeuses avec les archontes. L’amant auquel l’âme s’unit est le véritable époux (ibid., NH I1,6 133,8).

Le mariage est symbole de liberté : il est destiné non aux esclaves mais aux hommes libres (Évangile selon Philippe, NH II,3 69,1­4) : libres de l’empire des archontes et du lacet des passions. C’est d’ailleurs de la vérité que découle la liberté : « Si vous reconnaissez la vérité, la vérité vous rendra libres. L’igno­rance est esclave, la gnose est liberté» (ibid., NH II,3 84,8-11).

Le mariage est symbole de repos : l’âme ne court plus d’un amant à l’autre; selon les paroles du Discours véritable, «elle a retrouvé son Orient, elle s’est reposée en celui qui se repose, se laissant choir dans la chambre nuptiale» (NH VI,2 35,8-11).

Le mariage est symbole de joie, car il marque la fin des pérégrinations doulou­reuses de l’âme : « Ils s’étaient unis dans un intellect […] dans une union joyeuse, car c’est un mariage de vérité et un repos incorrupti­ble en chaque intellect et une illumination qui s’accomplit dans un mystère ineffable »

(Deuxième Traité du grand Seth, NH VII,2 66,34-67,11).

Le mariage est symbole de beauté, une beauté intérieure qui pare l’âme de ses meil­leurs atours :

Devenue consciente de sa lumière, elle se dévêt de ce monde et se pare de son véritable vêtement; sa robe de mariée l’habille pour la beauté de l’esprit et non pour l’orgueil de la chair (Discours véritable, NH VI,2 32,2-8).

Le mariage est symbole de chasteté, car il est spirituel, et s’oppose aux unions souillées du monde inférieur. Quelles sont les caractéristiques de ce mariage ?

L’Évangile selon Philippe s’exprime ainsi à ce sujet:

Si le mariage de la souillure est caché, en revanche ce mariage pur de toute tache est un mystère authentique. Il n’est pas charnel, mais il est pur. Il n’appartient pas au désir, mais à la volonté. Il n’appartient pas aux ténèbres et à la nuit, mais au jour et à la lumière (NH I1,3 82, 4-10).

Ce mariage est éternel car il ne connaît pas le bouleversement du désir :

Ce mariage n’est pas comme le mariage char­nel. Ceux qui se sont unis l’un à l’autre s’enivrent de cette union et se délivrent, comme d’un fardeau, du tourment du désir, en ne se séparant plus l’un de l’autre […] s’ils s’unissent l’un à l’autre, ils deviennent une seule vie (IntAme, NH II,6 132,27-35).

Ce mariage est également fertile. À la semence souillée des archontes, dont étaient nés des avortons, s’oppose ici la semence de l’époux : elle donnera à l’âme des enfants qui vivront; elle est en effet l’ «esprit vivifiant » (IntAme, NH II,6 134,1-4). Sous le couvert de l’allégorie, ces enfants représentent les idées.

Ce mariage est un mariage d’amour, opposé aux accouplements intéressés de la prostitution. L’époux et l’épouse s’aiment dans un plaisir partagé (ibid., NH II,6 133,31-34).

Ce mariage enfin est la réplique de l’union primordiale, rompue quand l’âme quitta le plérôme :

Au début ils s’unissaient devant le Père, avant que l’âme ne perde son époux-frère. De nouveau ce mariage les relie l’un à l’autre et l’âme s’unit à son amant véritable, son seigneur naturel (ibid., NH II,6 133,4-9).

à paraitre pour fin décembre

 

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