Materia Matrix : de la biosphère à la Noosphère avec Vladimir Vernadski


« Il me semble impossible pour plusieurs raisons, de parler des théories évolutionnistes sans tenir compte aussi de la question fondamentale de l’existence d’une direction déterminée, dans  le processus  de l’évolution invariable,  au  cours de toutes les époques géologiques. »Vladimir Vernadsky

Qui le sait ?  mais c’est le géologue et physicien russe Vladimir Vernadsky (1863-1945) qui fut à l’origine de ce concept appelé à révolutionner notre conception du monde. Alors que les idées écologistes (en tout cas leurs traductions politiques ou commerciales) prennent une importance croissante dans la société mondiale, il est bon de revenir aux sources de l’écologie scientifique. Vladimir Vernadski est l’un des créateurs de cette science et il est malheureusement peu connu en France, encore moins lu ! C’est auprès de lui que le père Teilhard de Chardin recueillera son enseignement à la Sorbonne dans les années 20. Singulière rencontre entre ce matérialiste pur et dur, marxiste et le père jésuite paléontologue et anthropologue. Pourtant de celle-ci va naitre une pensée – la seule – à même de comprendre les enjeux systémiques de notre monde actuel.

Vladimir Vernadski est aujourd’hui considéré par la plupart des historiens des sciences comme le père de l’écologie globale. Héritier d’une tradition scientifique humaniste, celle d’Alexandre de Humboldt et de Pasteur, celle de Mendeleïev dont il suivit les cours de chimie à l’université de Saint-Pétersbourg, Vernadski a été le premier à conceptualiser la biosphère. S’il n’a pas inventé le mot (c’est au géologue autrichien Eduard Suess qu’en revient le crédit), il a théorisé le concept dans un livre fameux devenu un classique de l’écologie, La biosphère. Figure imposante de la science soviétique, grand-père de la science nucléaire russe, Vernadski est resté longtemps quasiment inconnu en Europe, à peine moins aux Etats-Unis. En France, la thématique de la biosphère remise au goût du jour par l’écologie globale l’a un peu fait sortir de l’oubli, notamment grâce aux travaux récents d’historiens de l’écologie comme Jean-Paul Deléage ou Jean-Marc Drouin.

Biographie

Vladimir Ivanovitch Vernadski naît en 1863 à Saint-Pétersbourg dans une famille aristocratique et intellectuelle appartenant à l’élite humaniste de Russie . Son père, Ivan Vassilievitch est professeur d’économie politique et président de la Société d’économie libre de Saint-Pétersbourg. Esprit indépendant, il milite pour l’abolition du servage, ce qui lui vaut de voir L’Economiste, la revue qu’il dirige, interdite par le tsar Alexandre II. Il éduque son fils dans le goût de la lecture et du libre débat. A partir de 1881, il étudie les sciences à l’université de Saint-Pétersbourg, où il suit les cours de chimie de Mendeleïev et les cours de géologie de Dokoutchaïev, le grand fondateur de la pédologie. C’est sans doute ce qui le décide à se consacrer à la minéralogie. Combattant acharné pour la démocratie, il luttera toute sa vie contre l’autocratie, aussi bien celle du tsar que celle de Staline. Pendant ses années d’études, il sera de toutes les batailles pour la liberté, l’égalité des sexes, des droits, des conditions de vie.

En 1888-1889, il se rend en Allemagne et en France où  il  étudie la chimie minérale et la cristallographie. De retour à Moscou, en 1890, il présente sa thèse magistrale intitulée De la sillimanite et du rôle de l’aluminium dans les silicates. En 1896, il soutient à Saint-Pétersbourg sa thèse de doctorat de cristallographie, Phénomènes de glissement dans les substances cristallines.

Après avoir participer brièvement au gouvernement provisoire de 1917, il est recherché par les Bolcheviques et se réfugie en Ukraine. Il y fonde l’Académie des sciences et continue ses travaux scientifiques. Après avoir été arrêté par le pouvoir soviétique, il est rapidement libéré. Puis il se rend à Paris en 1922, à l’invitation du recteur de la Sorbonne. Il y restera quatre années pendant lesquelles il donnera des séminaires et étudiera les minéraux radioactifs dans le laboratoire de Marie Curie.

Il cherchera alors à s’établir en Occident pour créer un laboratoire de biogéochimie utilisant les méthodes les plus modernes, mais il essuie refus sur refus de la part des institutions scientifiques britanniques et américaines. Sa proposition de créer le laboratoire en France, dans le cadre du Muséum, se heurte à un mur. En 1926, il revient dans son pays, malgré son aversion pour le régime communiste, et se consacre au développement de la science soviétique ainsi qu’aux capacités de production. Grâce à son statut imposant de « père de la science soviétique » (il avait formé nombre des chercheurs en activité lors de ses années d’enseignement à Saint-Pétersbourg), il est presque intouchable. Aux pires moments des grandes purges staliniennes, il mène la résistance contre la « normalisation prolétarienne » de l’Académie, défend ses collaborateurs arrêtés et critique les échecs du régime, notamment en matière de famine. Il meurt à Moscou en 1945. Sa vie durant, il a défendu et promu la science, mise au service du développement de l’humanité. Intouchable de son vivant, il est proscrit après sa mort par les autorités soviétiques.

Biochimie, de la biosphère à la Noosphère

Le premier maître de Vernadski, c’est Dokoutchaïev, le fondateur de la pédologie russe moderne et auteur du Tchernozem russe. C’est lui qui apprend à Vernadski à considérer le sol comme un corps naturel. C’est lui qui l’oriente vers l’étude des cycles biogéochimiques, le sol étant par excellence un lieu d’échanges d’atomes entre les processus vivants et les minéraux. L’écorce terrestre n’est pas pour lui une masse inerte de matière mais un mécanisme complexe où les atomes sont animés d’un mouvement incessant. Le silicium, le phosphore, le carbone, l’oxygène, l’azote, autant d’éléments vitaux qui sont en permanence prélevés ou rejetés par des processus vivants. Vernadski propose d’étudier les éléments chimiques dans les quatre éléments de son gisement : dans les roches et minéraux, dans la matière vivante, dans les magmas et dans sa dispersion. Il identifie ainsi les grands cycles biogéochimiques et constate qu’ils sont beaucoup plus actifs que les cycles géochimiques simples, qu’il qualifie d’éternels. La vie représente pour la planète le passage à un niveau énergétique supérieur :

« La matière vivante augmente l’énergie active de l’écorce terrestre de deux manières différentes. Elle l’augmente par ses processus réversibles, par le dégagement de l’oxygène libre, par son échange avec les autres éléments chimiques du milieu. […] Son expansion sur toute la surface de notre globe joue un grand rôle dans l’intensification de l’activité chimi- que de notre planète. La matière vivante devient ainsi un régulateur de son énergie, elle la distribue sur toute la surface terrestre d’une façon plus ou moins homogène. […] En même temps, par ces processus irréversibles, la matière vivante accumule l’énergie rayonnante du Soleil et la transmet à des couches plus profondes de l’écorce sous forme de composés chimiques, qui peuvent, dans des conditions déterminées, donner lieu à un déga- gement de l’énergie active, en premier lieu sous forme de combustibles et de carbonates. » [La géochimie.]

La matière vivante se répartit à peu près uniformément sur la pla-nète, pour y former « une couche mince de concentration de l’énergie chimique libre, provenant du Soleil ». C’est cette couche que Vernadski appelle biosphère.  (à suivre dans le livre « Ame du Monde et Noosphère »)

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De nombreuses personnalités françaises comme Henri Bergson et Pierre Teilhard de Chardin, que Vernadski a fréquentées pendant son séjour au laboratoire de Marie Curie, entre 1922 et 1925 (Teilhard a participé aux séminaires que Vernadski donnait  à la Sorbonne) ont participé à la formation de sa pensée. C Il avait fini par en conclure que l’action de l’homme change profondément l’histoire géochimique et s’apparente à la quête alchimique  :

« Dans l’histoire de tous les éléments chimiques, c’est un fait d’une importance unique. Pour la première fois dans l’histoire de notre planète nous voyons la formation de composés nouveaux, la transformation des métaux, un changement inouï de la face terrestre. »

Prochain article : de quelques aperçus sur le  Point Oméga, les étapes de la Noosphère et ses mécanismes


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