de la Stricte observance bénédictine à la Stricte observance templière


FORBIN Auguste de, Vue de Jérusalem prise de la vallée de Josaphat, 1825.

Les anciens devoirs sont issus de la règle bénédictine lors de l’implantation du monachisme en Angleterre puis en Écosse. Le plus ancien d’entre eux conservé est le Regius et date de 1390. On retiendra la légende du métier et le passage sur les Quatre couronnés, la tour de Babel et les 7 Arts libéraux constituant d’après nous l’échelle initiatique des maçons du Moyen-Âge.

Ce texte est à l’évidence catholique romain par ses références à la Sainte Église, à Marie. Il constituera la base de référence des constitutions jusqu’à celles du pasteur calviniste James Anderson. Il va de soi qu’une Franc-maçonnerie en dehors de l’Église (qu’elle soit de St Pierre ou autre) n’a strictement aucun sens et constitue – ce qui est plus grave – une forme active de contre initiation comme l’avait déjà décrit René Guénon. En bref et pour être précis c’est dès l’origine que cette nouvelle fraternité, d’abord contemplative puis chevaleresque aura une forme essentiellement symbolique.


Ainsi on peut lire dès les premières lignes :
« Ici commencent les statuts de l’art
De Géométrie selon Euclide.
Celui qui voudra lire et chercher
Pourra trouver écrite dans un vieux livre
L’histoire de grands seigneurs et grandes dames,
Qui, certes, avaient beaucoup d’enfants;
Mais n’avaient pas de revenus pour en prendre soin,
Ni en ville, ni à la campagne ou dans les bois;
Ils tinrent ensemble conseil pour eux,
Et décidèrent pour leur bien,
Comment ils pourraient mieux mener leur vie
Sans inconfort, ni souci ni lutte;
Et encore pour la multitude qui viendra
Ils envoyèrent chercher de grands clercs,
Pour leur enseigner alors de bons métiers;

Manuscrit dit « Regius » de 1390

Et nous les prions, pour l’amour de notre Seigneur,
Pour nos enfants de trouver un travail,
Pour qu’ils puisent ainsi gagner leur vie,
Tant bien qu’honnêtement en toute sécurité.
En ce temps-là, par la bonne géométrie,
Cet honnête métier qu’est la bonne maçonnerie
Fut constitué et crée ainsi,
Conçu par ces clercs ;
Sur la prière de ces seigneurs ils inventèrent la géométrie,
Et lui donnèrent le nom de maçonnerie,
A ce plus honnête de tous les métiers.
Les enfants de ces seigneurs s’appliquèrent,
A apprendre de lui le métier de géométrie,
Ce qu’il fit très soigneusement;
A la prière des pères et des mères aussi,
Il les mit à cet honnête métier.
Celui qui apprenait le mieux, et était honnête,
Et surpassait ses compagnons en attention,
Si dans ce métier il les dépassait,
Il devait être plus honoré que le dernier,
Le nom de ce grand clerc était Euclide,
Son nom se répandait fort loin.
Pourtant ce grand clerc ordonna
A celui qui était plus élevé dans ce degré,
Qu’il devait enseigner les plus simples d’esprit
Pour être parfait en cet honnête métier;
Et ainsi ils doivent s’instruire l’un l’autre,
Et s’aimer ensemble comme sœur et frère… etc »

En fait et pour bien situer le débat pas plus qu’il n’y a de Franc-maçonnerie dite speculative il n’y a eut de maçonnerie dite opérative. Dans un cas comme dans l’autre c’est déshonorer la mémoire des enfants de Salomon ou de tous ceux qui perpétuèrent les données traditionnelles issues du Temple. Parler d’une franc-maçonnerie qui ne serait qu’opérative signifierait que ceux qui pratiquaient l’Art du Trait était dénué d’esprit et qu’en revanche ceux qui pratiquaient une forme plus symbolique étaient en proie aux dérives de la spéculation que celle-ci soit intellectuelle (c’est la figure du sophiste honnis de tout philosophe) ou pire financière. Ces termes – on le voit – n’ont strictement aucun sens et proviennent d’une dégénérescence de l’état actuel de nos connaissance. En fait « speculative » est simplement une erreur de traduction pour le terme de speculative anglais qui a le même sens que « philosophique » et opérative renvoie au terme latin d’Opera ayant un tout autre sens. Ces points établis, progressons.

La Règle bénédictine et les 7 arts libéraux

 

Le Regius : un dialogue entre la République de Platon et le chapitre VII de la Regula monachorum de Benoît de Nursie

Benoit de Nursie a modifié le paysage intellectuel de toute l’Europe et il est le père d’un concept oublié, celui de la Respublica Christiana issu de la Cité de Dieu de St Augustin. Sa Règle lui survivra et servira de modèle pour la restauration des premières sociétes fraternelles dont la plus célèbre sera l’Ordre des Pauvres chevaliers du Temple à l’issue de la reforme Grégorienne dont le rôle sera tout aussi considérable.

Les sources de la Franc-maçonnerie templière sont-elles authentiques et quelles en sont la provenance. La réponse à cette question est simple et se trouve en effet dans le manuscrit Regius. Dans le Regius, le rite de réception en loge des Anciens devoirs EST quasiment calqué sur le chapitre LVIII de la Règle des moines dans lequel Benoît de Nursie décrivait le rite monastique de l’émission des vœux. Or il existe dans cette règle bénédictine un chapitre qui explique comment le moine accèdera au ciel : c’est le chapitre VII qui décrit l’échelle de l’humi­lité en douze et un degrés et qui montre comment, en gravissant les douze et un degrés de cette échelle (le treizième degré étant la charité) comparée à l’échelle de Jacob (Gen. 28,10-22), le moine accèdera au ciel.

Saint Benoit de Nurcie. Benoît de Nursie (né vers 480 ou 490 à Nursie (en italien Norcia) en Ombrie, mort en 543 ou 547 dans le monastère du Mont-Cassin ; en latin Benedictus de Nursia), saint Benoît (en latin Sanctus Benedictus de Nursia) pour les catholiques et les orthodoxes, est le fondateur de l’ordre des Bénédictins et a largement inspiré le monachisme occidental ultérieur. Il est considéré par les catholiques et les orthodoxes comme le patriarche des moines d’Occident, grâce à sa règle qui a eu un impact majeur sur le monachisme occidental et même sur la civilisation européenne médiévale. Il est souvent représenté avec l’habit bénédictin (coule noire), une crosse d’abbé, ainsi qu’un livre.

En établissant un lien entre d’une part l’ascension platonicienne du ciel grâce aux sept arts libéraux et d’autre part la haute grâce du Christ dans le ciel, le Regius, dont le rite de réception en loge était calqué sur le rite bénédictin de l’émission monastique des voeux, s’est donc basé sur l’analogie qui existait entre l’ascen­sion platonicienne du ciel grâce aux sept arts libéraux et l’échelle céleste de l’humilité en douze et un degrés du chapitre VII de la règle bénédictine, échelle béné­dictine qui n’était elle-même qu’une reprise de l’échelle céleste en quatorze degrés proposée par l’abbé Pinufius au livre IV des Institutions cénobitiques de Jean Cassien, et dont les élément socio-religieux de type monastique ne pouvaient être proposés directement aux non-moines qu’étaient les francs-maçons : c’est pourquoi, ne pouvant reprendre telle quelle l’échelle céleste du chapitre VII de la Règle de saint Benoît dont le chapitre LVIII leur servait pourtant à élaborer leur rite de réception en loge, les auteurs du Regius décidè­rent de substituer à cette échelle céleste du chapitre VII de la Regula monachorum son équivalent platonicien : l’échelle encyclopédique décrite par Platon en République VII.

La question se pose de savoir si en se fondant sur l’ana­logie existant entre l’ascension platonicienne du ciel grâce aux sept arts libéraux et l’échelle céleste de l’humilité en douze et un degrés de la règle bénédic­tine, le Regius  n’aurait pas intégré et proposé dans l’échelle céleste de une méthode à mettre en œuvre pour réussir à pratiquer la spiritualité impliquée dans l’échelle céleste de Benoît de Nursie. En effet, en se référant à l’usage correct (philosophique) des sept arts libéraux selon Platon, le Regius semble bien avoir poursuivi le même but que proposait Benoît de Nursie au chapitre VII de sa règle. Dans sa République, Platon concevait les sept arts libéraux (quadrivium suivi du trivium) comme une échelle du ciel destinée à permet­tre de contempler le soleil, image de l’Idée du bien considéré comme la cause morale de l’existence de toutes choses, et constituant de ce fait même le seul remède possible aux diverses formes d’anéantissement (pénurie, guerre, meurtre, dialogue perverti) sévissant dans la caverne. De même, le premier degré de l’échelle bénédictine de l’humilité reposait sur la crainte de Dieu destinée à permettre au sujet d’éviter le « feu de l’enfer ». Or c’est bien ce fondement apocalyptique que nous retrouvons à l’origine du propos du Regius sur les sept arts libéraux, puisque cet Ancien Devoir n’en vient à mentionner cette échelle encyclopédique qu’après avoir évoqué l’effet mortifère du mal moral.

Raymond Lulle, 1512

 

De la claire vallée à la vallée de Josaphat

Les fils de la vallée doivent leur appellation à une double origine qui se dévoile en  miroir : une vallée en Palestine et l’autre à Clervaux. Dans la tradition bénédictine, c’est au pied du tombeau de Notre-Dame, dans la vallée de Josaphat, que la Vierge Marie intercèdera en faveur de ses fils le jour du Jugement dernier et que l’orgueilleux sera condamné et l’humble consolé. Plusieurs moines de la Stricte Observance bénédictine s’intéresseront de près à ces révélations, notamment le cistercien Otton de Freising (1112-1158), abbé de Morimond et oncle de l’empereur Frédéric Barberousse, qui s’attachera surtout à démontrer le caractère germanique du Roi des derniers jours. Il y a aussi Joachim de Flore (1130-1202), abbé cistercien du monastère de Corazzo, fille de la Claire Vallée. Dans son Expositio in Apocalipsim, Joachim situait la fin des temps en 1200. Mais pour l’abbé cistercien la fin des temps n’était que le début d’une nouvelle ère, celle du Saint Esprit, qui était pour lui la réalisation pleine et entière de la Stricte Observance bénédictine à l’échelle universelle.

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