De nombreuses personnalités sont venues en pèlerinage au domaine du temps d’Assan Dina et aussi une fois celui-ci disparu avec Mary Shillito. Oswald Wirth le grand réformateur de la Franc-maçnnerie française y séjourna également. La vie et l’histoire de René Guénon est définitivement liée à celle de Mary Shillito et des Avenières. Normalement il aurait du rentrer en France et sans le mariage de Mary Shillito avec Ernest Britt son destin aurait été tout autre. Ce que l’on sait moins c’est que cette dernière est revenue le voir en 1935 ! la preuve a été donné par René Guénon lui même dans sa correspondance à propos du divorce de Mary avec Ernest Britt : C’est elle même qui me l’a raconté quand elle est revenue ici (ce devait être en 1935). Quand est-il venu et quels furent ses liens avec la veuve d’Assan Dina ? c’est ce que nous allons voir ici.
Les sources : Alexandre Pachine, Christian Regat, Jean-Pierre Laurant , La vie simple (!) de René Guénon, textes de Chacornac et Clavelle …
Le témoignage du libraire Chacornac
1924 — Apparition des époux Dina
Celui-ci témoigne : « En 1924, nous avions pour clients de la librairie, Monsieur et Madame Dina. Lui, Hassan Farid Dina, était un ingénieur égyptien ; elle, une américaine, Marie W. Shillito, fille du roi des chemins de fer canadiens. (c’est faux mais sa richesse est réelle). Tous deux étaient extrêmement riches, surtout elle qui disposait de l’usufruit d’une fortune considérable. Ils habitaient l’hiver, le château de Val-Seine, près de Bar-sur-Aube, et l’été, la propriété « Les Avenières », non loin de Cruseilles, en Haute-Savoie.
1928 – Décès de Assan Dina
« Dina avait entrepris, à ses frais, avec la collaboration de plusieurs savants français, d’édifier sur le mont Salève, près de Cruseilles, à 1 300 m. d’altitude, un observatoire, qui devait être le plus puissant du monde. Malheureusement, il laissa son œuvre inachevée, étant décédé, en juin 1928, à bord d’un paquebot, qui le ramenait des Indes. Il nous a laissé un ouvrage sur La Destinée, la mort et ses hypothèses, qui ne manque pas d’intérêt.
1929 — début : Rencontre de Mary Dina avec Guénon chez Chacornac
Mme Vve Dina et René Guénon s’étant rencontrés dans notre bureau du quai St-Michel, un jour du début de 1929, Mme Dina témoigna un vif intérêt pour les travaux de notre collaborateur.
Guénon et Madame Dina étaient devenu veufs tous deux en 1928,et ce deuil a dû les rapprocher mais de là à imaginer une liaison il y a plus qu’un pas !
D’après les archives, c’est en juillet que Mary contacte Guénon (par lettre) et l’aurait rencontré chez lui à la fin du mois et elle a noté dans ses tablettes que cela a coïncidé avec le jour anniversaire de sa naissance. Elle mentionne à la date du 3 août l’envoi d’un chèque de 500 f. pour son voyage en direction des Avenières. Le motif n’a rien de sentimental : il s’agit pour Guénon d’expertiser les manuscrits laissés par Assan Dina et de les accommoder en vue d’une publication. L’arrivée est envisagée pour le début septembre mais ce plan datant de la mi-août a été changé en cours de route.
1929 — Le voyage en Alsace et le séjour de Guénon aux Avenières
En septembre 1929, ils partirent tous deux pour l’Alsace qu’ils visitèrent, durant deux mois, presque entièrement, puis vinrent se reposer aux « Avenières ».
On connait les dates aujourd’hui car ils sont bien partis de Paris en septembre et le 29 de ce même mois Guénon annonçait à Di Giorgio qu’il venait d’arriver à Cruseilles quelques jours auparavant et devait quitter le château le 15 octobre. Le passage en Alsace n’a pas pu excéder un mois. Donc entre le 27 septembre et le 15 octobre 1929, voilà qui est établit….
En 1929 survient la crise financière à partir des USA et elle commence à faire sentir ses effets, notamment sur le train de vie de René Guénon, qui était rentier. Il évoque d’ailleurs ses soucis d’argent suite au crack boursier dans sa correspondance. Aux Avenières il ne tarde pas à s’apercevoir que la localité réserve bien des surprises.
Guénon nous écrivit en nous faisant part ce de que « sa santé s’est beaucoup améliorée depuis qu’il a quitté Paris » ; à un autre de ses amis il enverra ces quelques remarques symboliques :
« Voici des choses étranges : nous sommes sur le mont Salève, dont le nom semble être encore une forme de Montsalvat, et tout à côté il y a aussi le mont de Sion. Le nom de Cruseilles est assez remarquable également ; c’est à la fois le creuset dans le sens tout à fait hermétique, et la creuzille, c’est-à-dire la coquille des pèlerins ».
Chacornac donne les initiales du destinataire. Il s’agit de lettre à Galvao. Il a existé plusieurs lettres de Guénon datées de Cruzeilles. Ces lettres étaient adressées à Di Giorgio mais il n’existe qu’une lettre à di Giorgio du 16 octobre et de Cruseilles.
Le séjour a dû se prolonger au-delà du 15 octobre. Il a bien été envisagé de construire une maison séparée – aujourd’hui la maison des écureuils – pour que Guénon puisse y travailler au calme et sans être dérangé par les visiteurs pouvant séjourner au château. Guénon en fait état dans une de ses missives. Ce projet d’habitation séparée montre que l’ésotériste envisage une installation définitive aux Avenières ou tout du moins dans sa proximité. Il a tôt fait d’oublier le décès de Berthe Loury d’après le Dr Tony Grangier qui s’en est amusé.
Naissance des éditions Vega
On ne le sait pas mais c’est ici que furent conçus la célèbre maison d’édition Véga.
Au cours du voyage, il fut décidé que Mme Dina rachèterait aux différents éditeurs les livres de Guénon déjà publiés, pour les centraliser dans une seule maison qui éditerait ensuite les ouvrages postérieurs.
Le dépôt des livres parus fut d’abord confié à la firme Didier et Richard, de Grenoble. Mais, au bout de peu de temps, Mme Dina envisagea la création d’une librairie et d’une collection qui publierait, outre les ouvrages de Guénon, d’autres travaux de tendance traditionnelle, et des traductions de textes ésotériques, spécialement des textes concernant le Soufisme.
Une maison d’édition fut bien créée (La librairie Véga) mais la centralisation avorta sous l’influence du Dr Rouhier.
Epilogue transitoire : durant ses deux premières années au Caire et malgré des explications a posteriori l’intérêt pour l’Islam est quasi nul. C’est là qu’il produisit « le symbolisme de la croix » et « les états multiples de l’être ». Le premier était une commande de Mary Dina-Shillito et lui assurait de confortables revenus. C’est après 1938 et le décès brutal de sa protectrice que Guénon devra assumer les conséquences de son acte faute de ressources. A Caire grâce au don de John Levy Guénon peut s’acheter sa villa dans les faubourgs de Doqqui et mène une vie de rentier égyptien à l’abri du besoin. Hagga sa nouvelle épouse surveille les travaux. Il se rapproche aussi des services secrets britanniques et entretient des rapports avec la sphère turque mais ceci est une autre histoire (voir l’Enigme René Guénon). Fata Viam Invenient : sans la rencontre avec Mary Shillito il est peu probable que l’ermite de Doqqui comme on l’appelle eut fini ses jours au Caire car son projet initial était ailleurs : l’Inde. Dans un cas comme dans l’autre son destin était déjà tracé par l’Adepte des Avenières et nul ne peut sauter par dessus son ombre. C’est Mary Shillito qui finança ce premier voyage sur le Nil en vue de ressusciter la figure du mauricien. Ces deux hommes remarquables que rien ne réunissait sont pourtant unis à jamais dans les bras du Nil où ils reposent désormais loin de leurs terres natales.
à suivre ici … (cliquer sur le blason)