Chékinah et Bina : éléments pour une approche du féminin en Dieu
L’Odyssée du Féminin solaire va prochainement aboutir à son terme et sa couleur sera verte, verte comme le vivant végétal.
Si le terme d’âme du monde a de nombreux équivalents, si sa définition pose de multiples problèmes, il en est de même de son homologue en Kabbale, le terme Chekhina. Formé sur une racine hébraïque au début de l’ère chrétienne, ce mot signifie inhabitation de Dieu dans le monde ; mais il a aussi le sens inverse de Dieu demeure de l’homme ; il s’agit donc d’une mutuelle inhabitation. Les chrétiens y voient le plus souvent l’équivalent du Saint-Esprit : mais la richesse et l’imprécision de ce terme en font parfois aussi l’équivalent du Verbe incarné, ou de Marie, ou de l’Église, assemblée des chrétiens.
Les kabbalistes nous ont laissé de très nombreuses définitions du mot Chekhina. Georges de Venise écrit : « Ce degré de l’Esprit Saint qui nous est familier les Hébreux l’appellent Sachina (= Chekhina), c’est-à-dire inhabitation de l’Esprit Saint en nous. Paul parle ainsi quand il nous instruit en disant : » A cause de l’Esprit Saint qui habite en vous. » » Guillaume Postel y voit surtout l’aspect féminin de Dieu : « Et par ainsi, la Sechinah, qui est le Sainct Esprit appelé par nom féminin parce qu’il est le materiel esprit du monde… » ou encore : « Et par ainsi toute la Providence du monde pour le manier et gouverner tant par voye de misericorde comme par celle de justice est donnée audict Sainct Esprit, dict par voix féminine Sechinah, duquel les proprietés et attributs sont les proprietés et attributs de Dieu. Car le nom de Dieu grand est au milieu d’iceluy esprit habitant au mileu de nous… » Gilles de Viterbe insiste surtout sur le double aspect de la Scechina, la Scechina supérieure, qui est Bina, et la Scechina inférieure, qui est Malchut : « En outre Bina est appelée l’âme de tout l’édifice : en effet elle vit et les deux mondes chacun à sa manière obtiennent la vie : Bina est l’âme du monde divin, je le suis moi (= Malchut ou Malkuth) de votre monde. » Double en effet est le monde pour les kabbalistes, double est son âme, double est la Chekhina. Guillaume Postel ira jusqu’au bout de cette dualité.
Chekhina et ligne verte. La Chekhina, qui occupe la dernière place dans l’archétype, est aussi appelée « terre des vivants et Règne, car elle règne par nous sans intermédiaire. Et cette divinité qui est communiquée aux mortels, le docteur suprême l’appelle royaume des cieux quand il dit « le Royaume de Dieu est parmi vous » … Le thème de « terre des vivants » se rattachent la plupart symboles qui en nombre presque infini représentent la Chekhina : la vallée, humide et profonde, les collines, la mer et toutes les eaux, un grand nombre d’animaux, de végétaux… Poètes et artistes, saints parmi les plus grands, comme François d’Assise ont su garder au monde visible son caractère sacré : le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les eaux, les oiseaux, fleurs, tout leur est prétexte pour chanter la gloire de Dieu est à noter que les juifs, qui ne prononcent pas le nom Dieu, le remplacent parfois par Hamaqom, le lieu, une expression qui peut évoquer l’âme du monde, ou la Chekhina. Terre des vivants, lieu où vivent les êtres animés, ou terre animée le glissement est facile.
Dans la symbolique de la Kabbale on trouve un grand nombre de connotations spatiales : point, ligne, hauteur, largeur profondeur… La plus significative est sans doute la ligne verte « la mesure verte qui est au-dessus des sept – les sept Sephirot inférieures – et qui appartient à Bina la huitième commençant par le bas ». Claude d’Espence la définit ainsi dans le De coelorum animatione : « Parmi les dogmes les plus fameux et les plus obscurs des kabbalistes que Jean Pic de la Mirandole a tirés de leurs commentaires, on trouve en dernier lieu la ligne verte qui entoure l’univers. Leur interprète et commentateur, Archangelus de Burgonovo, affirme dans un long développement que la ligne verte est un symbole de l’âme du monde. (…) Cette âme est Dieu qui contient l’univers, le vivifie en envoyant en toutes choses créées son influx. (…). » La couleur verte, couleur de la végétation, est considérée par les kabbalistes comme pouvant donner toutes les autres couleurs. Mais dans la symbolique traditionnelle la terre, qui porte les semences et nourrit les vivants, est aussi mère. Ce thème de la maternité est un des plus souvent exploités par les kabbalistes chrétiens et l’un de ceux qui leur ont permis de passer de la Kabbale juive à la Kabbale chrétienne proprement dite.
Le titre de Mère des vivants est tout d’abord attribué à la Chekhina, sous son double aspect, Bina et Malkuth. L’une est la mère du monde divin, l’autre la mère de notre monde, la petite mère », comme elle se nomme elle-même dans le traité Scechina de Gilles de Viterbe : « Bina a un troisième surnom qui, je l’ai montré, découle de ce qui a été dit, c’est le nom vénérable de mère. Mais l’appellation de mère dans le monde peut avoir des sens divers, selon qu’il s’agit de la partie supérieure, de la partie intermédiaire, de la partie inférieure. Dans la partie inférieure (du monde divin), c’est moi qui suis la mère, car je donne la vie à votre monde et à tous ceux qui y vivent. » On remarquera que le mot miséricorde en hébreu se dit entrailles », Rachamim, comme si Dieu, quand il prend pitié était mère. C’est pourquoi l’expression si souvent retenue par Postel de « maternité du monde » est particulièrement riche : quand on veut parler de ce qui est le plus haut dans la vertu divine, on dit « la maternité du monde », dit-il, cela signifie que Dieu est « tout en tout ».
à suivre …