du Forez à Glozel : les maitres verriers celtes en Bourbonnais


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Bracelet celte en verre

Le verre est connu depuis l’antiquité et fait son apparition dès – 4000 en Égypte. Il s’avère que Glozel était un important centre dans les arts du feu, celui de l’émail vernissé et du verre à l’état pur. Une nouvelle lecture du célèbre  site.

Une archéologue a pu  reconstituer cet itinéraire passionnant et faire l’historique des techniques de la céramique comme du verre bien avant Bernard Palissy !

Joëlle Rolland voit apparaître dans les tombes gauloises puis se démocratiser à partir de l’an -500 un nouvel objet de parure, les bracelets en verre, et tente même de les recréer selon les techniques anciennes, perdues en Europe, en partenariat avec des artisans verriers :

«Je m’intéresse à l’artisanat du verre dans le monde celtique au second âge du fer. Pour situer l’époque, on est dans les cinq derniers siècles avant Jésus Christ – de – 500 jusqu’à la conquête romaine en -53 ( vous savez, quand Jules César conquiert toute la Gaule sauf un petit village d’Armorique) Ça, c’est le second âge du fer. Et ce qu’on appelle l’Europe celtique, mais aussi la «culture laténienne», c’est une multitude de peuples européens appelés Keltoi (Celtes) par leurs voisins grecs et Galatae (Gaulois) par les Romains, qui les considèrent comme des étrangers et les définissent ainsi sans prendre en compte leur diversité. Les Celtes se reconnaissent des éléments de culture communs, dont des éléments de langue, et des objets qu’ils se partagent et qui circulent. Certains objets d’artisanat sont fabriqués en série, répandus et utilisés partout, de la République tchèque au Finistère. Ce n’est pas le cas de la céramique, par exemple, qui reste un objet régional, mais le verre, oui. Il est typique de cette Europe celtique.

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Cône en pierre utilisé pour écarter le bracelet à sa sortie du four.

«Alors que les Grecs utilisent le verre pour la vaisselle, les Gaulois en font des objets de parure. Apparu vers 1 500 avant J.-C. en Mésopotamie, le verre a d’abord été utilisé pour faire des perles et des petits récipients moulés sur noyau d’argile, et ce jusqu’à l’arrivée des Romains. Avant le Ie siècle avant J.C., ils n’ont pas encore compris qu’on pouvait faire des bulles avec le verre, le souffler. Mais ils le tirent et le filent. Et au Ve siècle avant J.-C., au début du second âge du fer, on voit apparaître un nouvel objet en verre : le bracelet. C’est une invention probablement typiquement gauloise, puisqu’on ne retrouve des bracelets en verre qu’en Europe à cette époque-là. Il y en a très peu en Italie, où son arrivée est plus tardive, et pas du tout en Egypte ou en Grèce. Mais en Gaule, en République tchèque ou en Allemagne, il y en a beaucoup. «Les bracelets en verre ont fait surface dans les fouilles archéologiques au XIXe siècle, quand on a découvert les grands sites gaulois dont le site de la Tène qui donne son nom à la culture laténienne. A la Tène, mais aussi à Alésia et Gergovie, on a commencé à associer ces objets aux peuples gaulois dont parlait César. »

«Les premiers bracelets en verre qu’on voit apparaître, au Ve siècle avant J.-C., sont retrouvés uniquement dans les tombes princières celtiques. La princesse de Reinheim par exemple, avait sur elle un bracelet en or, un bracelet en ivoire et un bracelet en verre. C’est très chic d’en posséder à ce moment-là. On retrouve aussi des bracelets dans les tombes riches de la Champagne et de la Marne, ou des torques avec de grands anneaux en pendeloques… Mais ce luxe va se démocratiser petit à petit. Au IIIe et IIe siècle avant J.C., on retrouve davantage de bracelets en verre, dans davantage de tombes. Donc la production augmente. Les décorations des bracelets se développent, aussi : les Celtes travaillent sur des objets plus élaborés.

«Et à la fin du second âge du fer, vers le début du Ie siècle avant J.-C., on observe une simplification des formes qui permet une augmentation quantitative de la production. A ce moment-là, on trouve les bracelets même dans les poubelles, les zones de déchets, et aussi beaucoup de bracelets d’enfants.

perles-verre-gauloisdu bleu celte au célèbre bleu de Chartres, une couleur historique liée à la culture celte

«Le verre, qui est composé de sable, de soude et de calcaire, a naturellement une couleur verdâtre – celle qu’on retrouve sur les verres romains dans les musées. Ce sont les fers naturellement présents dans le sable qui colorent le verre. Alors pour le pour le colorer ou le décolorer, on ajoute des oxydes métalliques aux ingrédients : du cuivre, de l’or… Pour le bleu, il faut du cobalt. Et les Gaulois sont de grands fans de bleu. Ils font aussi du verre jaune et des décorations en verre blanc, mais ils importent principalement du bleu et la plupart de leurs pièces sont bleues. Quand on lit les textes antiques, on apprend même que les Gaulois sont toujours peints en bleus. Ils adorent, ils sont très bleu. C’est culturel.

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Bloc de verre brut pourpre retrouvé à Toulouse (La Caserne Niels), Ie siècle avant J.-C.

«Mais c’est une couleur considérée comme barbare par les Romains et totalement rejetée par eux. D’ailleurs, on a longtemps pensé que les Grecs et les Romains ne voyaient pas le bleu, parce qu’il n’en parlaient quasiment pas. Chez les Romains, c’est le pourpre qui marche, la couleur du prestige.

«Je trouve ça super-intéressant dans l’étude du verre : c’est une des seules matières qui nous permettent d’aborder la couleur. Les peintures se décolorent, les tissus s’effacent, les métaux rouillent, mais le verre, ça ne bouge pas avec le temps. A la fin du IIe siècle et au Ie siècle avant JC, on voit apparaître dans la parure gauloise la couleur pourpre, le violet. Pile au moment où les populations romaines et celtiques commencent à être vraiment en contact, au début de la conquête romaine. C’est probablement une façon de se faire reconnaître par ces nouveaux voisins. Comme si on disait : « dans ma parure de prestige, je porte ta couleur de prestige. Ça veut dire que moi aussi, je suis quelqu’un de prestigieux. »

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Maitres verriers en Bourbonnais : four à verre

Les artisans du verre : du Forez à Glozel

La datation des objets trouvés sur le site de Glozel donnent des dates allant de la période celte jusqu’au Moyen-Age ce qui explique la persistance d’une activité sur la région réputée pour son savoir faire en matière de verrerie. L’hypothèque de la persistance de cette activité a été confirmée par les analyses par thermoluminescence et datation au carbone C – 14.

Plusieurs analyses chimiques ont été effectuées sur les verres ; à l’époque de Morlet par le professeur Croze et par M. Bruet de la Société géologique du Centre ; plus récemment, en 1990, à l’université de Toronto au Canada. Ces analyses, faites par des méthodes différentes, concordent pour dire que le verre de Glozel n’est pas moderne. Ce verre, très riche en potassium, provient de l’utilisation de la fougère et du bouleau, associés au sable du Vareille. Un tel verre à haute teneur en potassium est caractéristique de la période médiévale. On le nommait aussi « verre de fougère ». Quelques autres échantillons avaient une composition différente, avec un mélange de soude et de potasse. Un autre encore, contenant de l’arsenic et de la soude, était probablement d’origine exotique. Toutes ces analyses convergent pour confirmer la présence d’une intense activité verrière à Glozel pendant une longue période, entre le XIIe et le XVe siècle. En effet, ce ravin était prédisposé à une telle industrie.

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Four ovulaire, de nombreuses traces découverts sur le site et autour

Le bois pour chauffer les fours était à portée de main. L’eau pour le refroidissement, fournie par le Vareille, était proche de la « fosse ovale » qui faisait vraisemblablement of­fice de four. De plus, il était possible de transporter les produits verriers manufacturés par la voie gauloise très proche reliant Feurs à Vichy. De nombreux fragments de poteries vernissées, de couleur gris bleuâtre, ont été récoltés dans la couche superficielle arable qui précède la couche archéolo­gique. Il s’agit de pots qui avaient contenu du verre, très vraisemblablement des fragments de creusets de grès très durs, cuits jusqu’à vitrification dans la masse et ayant conservé, adhérente à leur face intérieure, une couche de verre ou d’email ?. Leur dimension devait être considérable. L’épaisseur de leur paroi était de deux à trois centi­mètres. Ils possédaient un rebord incurvé vers l’intérieur, typique des creusets verriers du Moyen Age. L’analyse par activation neutronique apporte la preuve que l’argile employée pour leur fabrica­tion ne provenait pas de l’argile locale.

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Briques à cupules réfractaires trouvées sur le site de Glozel

 

Le Dr Léon Chabrol a fait un énorme travail de recherche sur les verreries anciennes en montagne bourbonnaise. L’industrie du verre fut prospère dans cette région aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais elle devait exister bien avant. Cette industrie, souvent nomade, se situait dans les cantons forestiers, dans un pli de montagne, près d’un ruisseau et peu éloignée d’un chemin. C’est ce schéma que reproduiront plus tard les nombreuses activités du tissage roannais comme du stephanois.

chabrolChabrol distingue : – les verreries des Monts de la Madeleine, avec Saint-Nicolas-des-Biefs et Le Sappey ; – les verreries des Bois Noirs avec Cadjaux sur la commune de St-Priest-la-Prugne et du Plan du Jat ; – les verreries des Bois-Bizin et des plateaux entre Besbre et Sichon. (C’est dans ce dernier groupe que se situe la verrerie de Glozel.) Dans tous ces sites, on retrouve, à quelques variations près, les mêmes configurations industrielles. Les fours sont de forme ovalaire, longs habituellement de 2 m ou plus, larges de 0,90 m au milieu et de 0,32 m aux deux extrémités. Les parois sont en briques, avec des cupules très caractéristiques sur leur paroi externe, qui devaient servir à augmenter l’adhérence avec l’argile et assurer la solidité des parois du four. A Glozel, Chabrol reconnaissait, dans ce qui est habituellement désigné comme « fosse ovale », située à proximité du Vareille, au milieu des fougères et des bois, la structure très vraisemblable d’un four de verrier, malgré les dénégations de Morlet. On y trouve les fameuses briques à cupules, un peu plus petites que dans les autres sites (10,7 cm sur 2 cm et 5 cm d’épaisseur en moyenne).

Aux alentours s’observent les fragments de creusets avec, au culot, de la pâte de verre fondue. Morlet a signalé, dans « Nouvelle station néolithique », fasc.1, p. 43, la présence de petits vases très friables, disparus du musée, ainsi que de pâte vitreuse opaque de coloration vert-bleu laiteux. Il n’en fera plus état par la suite… Il décrit par contre un fragment de canne de verrier, cylindre en fer creux modérément oxydé, long de 13 cm.

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La communauté scientifique de l’époque est perplexe ! Les fouilles de Morlet commencent en mai 1925 et se poursuivent jusqu’en 1936. Il découvre des tablettes, des figurines, des outils de silex et d’os, des pierres gravées. De grands noms de l’archéologie viennent fouiller à Glozel à l’invitation de Morlet : Louis Capitan est le premier en juin 1925. Dès septembre 1925, Morlet révise sa première attribution chronologique et publie un fascicule intitulé Nouvelle station néolithique et cosigné par Émile Fradin. Les premiers articles de presse relatifs à Glozel sont publiés dans Le Matin en octobre et dans le Mercure de France en décembre. En deux années, le gisement livre environ 3 000 vestiges très variés, dont une centaine de tablettes portant des signes, une quinzaine de tablettes avec des empreintes de mains, des idoles sexuées, des galets gravés, des objets en pierre taillée, en pierre polie, en céramique, en verre, en os et en bois de cervidés.

Le Dr. Léon Chabrol l’affirme : « Le problème de Glozel reste intimement lié à la ques­tion des verreries anciennes des Monts du Forez… La fosse ovale n’a pas été primitivement une tombe, ni un four crématoire. Qu’elle ait changé de destination au moment où on a pavé son fond de 16 grandes dalles lutées d’argile crue, c’est une hypothèse que je ne rejette pas a priori… Au cas peu probable où cette construction n’aurait pas été édifiée pour servir de foyer à un four, ses murs ce­pendant ont été soumis au moins une fois à la forte chaleur d’un feu intense qui les a vitrifiés ; et les briques à cupules qui y sont incluses sont bien sor­ties des mains des verriers, soit que ces derniers eux-mêmes les y aient placées encore neuves, soit qu’elles aient été prélevées, comme de vulgaires matériaux de récupération, dans la démolition d’un four antérieur. En tête de cette fosse, à deux mètres de distance environ, il existait un foyer pro­fond, contenant un creuset collé à une portion de four de fusion avec des perles de verre et deux bri­ques à inscriptions, dont l’une porte quatre cupu­les. En outre, à quatorze mètres, il subsistait un dallage semblable à celui de la fosse ovale… Pour terminer, je dirai : les verriers ont donné sans le sa­voir un brevet d’authenticité aux tablettes inscrites, aux vases, bobines et idoles que le feu de leurs foyers a vitrifiés, que leurs coulées de verre ont soudés. Certes, on pourra soutenir que ces objets de céramique grossière ne sont peut-être pas leurs œuvres : admettons-le. Il n’en reste pas moins que leurs briques à cupules sont des briques de four et qu’ils les ont signées en caractères glozéliens. »

 
à suivre …

Télécharger le dossier Dr Chabrol sur les Verreries du Bourbonnais

Les verriers ont signé en caractères glozéliens leurs ouvrages !

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