Sir Christopher Wren ou l’énigme du Grand architecte


wren-st-paul-cathedrale

« The few lodges at London finding themselves neglected ..« 

James Anderson

En 1717 une autre maçonnerie existait bel et bien mais sa mise à mort fut programmée par un quarteron de loges regroupées sous le label grandiloquent de « Grande Loge »… Les protagonistes de cette grande loge se réunissaient au premier étage d’une taverne londonienne à l’enseigne de « L’Oie et le Grill » dans une pièce minuscule ne pouvant pas contenir plus de 15 personnes. Pourquoi et dans quelles conditions, c’est l’objet de cet ouvrage. Sir Christopher Wren tout comme Sir Robert Moray appartenaient de fait à cette « autre maçonnerie » dont la fin est proche et qui se sait condamnée.

Bien des mystères subsistent autour de la figure du plus grand architecte du Royaume de Grande Bretagne et il est difficile de faire la part du vrai dans les omissions, mensonges et  affabulations du rédacteur des constitutions de 1723. En 1720 devant la montée en puissance des « modernes » ou « spéculatifs » – à prendre au sens premier tant leurs liens avec le développement de la future banque de Londres est étroit – l’honorable loge de l’architecte, la loge St Paul Churchyard préfère se saborder et détruit par le feu la totalité de ses archives, il en sera de même pour nombre des loges tories avant que les nouveaux dissidents ne le fassent eux mêmes (voir ce que peut dire Anderson sur la « nécessité qu’il y a eut à bruler les archives des anciens devoirs   » ! Après le grand incendie de Londres en 1666 c’est maintenant le temps des autodafés et des anciennes loges il ne restera plus rien car table rase sera faite sous la conduite des nouveaux maitres.

En 1663, Christopher Wren est chargé par le roi Charles II de procéder à la restauration de la cathédrale St Paul suite à l’incendie. De 1663 à 1665, il établit aussi les plans de la chapelle du Pembroke Collège à Cambridge pour compte de son oncle, l’évêque Matthew Wren. Durant l’année 1665, lors de l’épidémie de peste qui ravage Londres, il est envoyé à Paris pour y étudier le style des bâtiments publics et des palais royaux. De retour à Londres, il prépare la restauration de Saint-Paul, mais la cathédrale est entièrement détruite par le Grand Feu en septembre 1666 et Wren devient l’un des six membres de la commission chargée de la reconstruction de Londres.

christwren1

En 1669, il succède à John Denham comme inspecteur général et architecte en chef du roi pour superviser la reconstruction de tous les édifices publics et religieux de la ville dont les travaux commencent déjà en 1670. Pendant l’année 1672, le roi Charles 11 promulgue la « Déclaration d’indulgence » en faveur des catholiques et des dissidents, et Wren, anobli, devient sir Christopher Wren. En 1674, il se marie et son premier fils, prénommé Christopher comme lui, naît le 16 février 1675. En 1680, Wren est élu président de la Société royale. Il est alors âgé de quarante-huit ans et contrôle les chantiers de plus de cinquante bâtiments importants, aussi bien à Londres qu’en banlieue, parmi lesquels la cathédrale Saint-Paul dont la première pierre a été posée le 21 juin 1675. Selon Anderson dans ses Constitutions de 1738, cet événement aurait eu lieu en 1673, mais d’après Floyd Ewin, secrétaire et receveur de la cathédrale à cette époque, la cérémonie a bien pris place le 21 juin 1675 avec, dit-il, un certain cérémonial maçonnique au sujet duquel il ne donne aucun détail.

Le 4 juin 1702, Wren père, à soixante-dix ans, il est encore cité comme surveillant des travaux de la tour (de Saint-Paul) dans un acte conservé à l’Office de l’enregistrement. La cathédrale est achevée en 1710. Le roi hanovrien et protestant George 1er monte sur le trône en septembre 1714 et une nouvelle insurrection jacobite éclate en Écosse pendant l’année 1715. Trois ans plus tard, le 26 avril 1718, le monarque déchoit Wren de sa fonction d’inspecteur général en raison de son grand âge car Wren a quatre-vingt-six ans, mais il semble aussi que celui-ci n’ait pas été bien en cour, ni dans l’entourage du roi, ni parmi les membres du gouvernement whig, à cause de ses convictions catholiques et de sa réputation d’être tory. Il a toujours été hostile aux puritains et aux whigs, et cette disgrâce s’amorce déjà après 1688.

Le 25 février 1723, sir Christopher Wren décède et il est enterré dans la cathédrale Saint-Paul. Sa tombe porte une épitaphe en latin :

« Ci-dessous est enterré le constructeur de cette église et cité, Christopher Wren, qui vécut plus de quatre-vingt-dix ans, non pas pour lui-même, mais pour le bien public. Lecteur, si tu cherches un monument, regarde autour de toi. »

Son décès et ses funérailles sont annoncés dans plusieurs journaux :

  • The Post Boy du 5 mars 1723, n° 5245 :

« Cet après-midi (mardi 5 mars), la dépouille de cet honorable franc-maçon, sir Christopher Wren, a été inhumée sous le dôme de la cathédrale Saint-Paul. »

  • The British Journal du samedi 9 mars 1723, n° 25 :

« Sir Christopher Wren, cet honorable franc-maçon, fut splendidement enterré dans l’église Saint-Paul, mardi passé dans l’après-midi. »

poster-1717-jdreue
Existe en poster : nous demander

D’autres journaux publient également son avis de décès, mais aucun de ceux-ci ne mentionne qu’il ait été franc-maçon.

Dans ses Constitutions de 1723, dont la rédaction a dû débuter avant 1721, du vivant de Christopher Wren père et sous George 1er, Anderson ne cite brièvement celui-ci qu’à trois reprises :

« page 41 – [construction de Saint-Paul] dirigée par l’habile architecte sir Christopher Wren » ;

« page 43 – [Sheldonian Theatre of Oxford] lequel fut aussi construit selon les plans et sous la direction de sir Christopher Wren, architecte du roi […] » ;

« page 46 – le clocher de Bow Church à Cheapside bâti par sir Christoher Wren ».

Anderson n’ajoute rien de plus et ne parle pas du tout de Wren comme membre éventuel d’une quelconque maçonnerie, qu’elle soit opérative ou acceptée. On peut aisément supposer que c’est par prudence politique qu’il agit ainsi en s’abstenant de tout commentaire au sujet de Wren, catholique et tory, dont la réputation n’est pas des meilleures dans les sphères royales et gouvernementales. De plus, il ressort de différents faits que celui-ci est ennemi juré de la nouvelle organisation « la franc-maçonnerie dite spéculative » dont les idées vont à l’encontre de sa démarche et surtout de ses convictions religieuses. A partir de 1715 cette opposition de Wren se manifestera de façon très précise, lors d’événements dont Anderson se garde bien de parler, même dans ses Constitutions de 1738  (voir notre livre à paraitre).


panier

Par contre, quinze ans plus tard, dans ses mêmes Constitutions de 1738, Anderson devient intarissable au sujet de Wren, dont il mentionne le nom et « la qualité maçonnique » exactement quatorze fois tout au long des pages 101 à 109. Nous nous bornerons aux dates et titres :

  1. 27.12.1663 — Sir Christopher Wren, grand surveillant.
  2. 24.06.1666 — Sir Christopher Wren, grand maître adjoint [deux citations].
  3. 9.7.1669 — grand maître adjoint Wren [quatre citations] sans date — grand maître adjoint Wren [deux citations].
  4. 1685 — Sir Christopher Wren, grand maître.
  5. 1693 — grand maître Wren.
  6. 1695 — Chr. Wren, grand maître adjoint.
  7. 1698 — Chr. Wren, grand maître.
  8. 1708 — grand maître Wren. »

Toutes les fonctions dont il qualifie Wren ne concerneraient donc que la maçonnerie opérative et l’on peut se demander pour quelles raisons, en 1738, Anderson étale ainsi tous ces titres. Il est évident que ceci correspond à un arrière plan bien précis. Mais à la page 108 de son livre, notre révérend ajoute ensuite :

« Quelques années après cela (1708) sir Christopher Wren négligea (?) l’office de grand maître ; toutefois la Vieille Loge de Saint-Paul ainsi que quelques autres continuèrent leurs réunions habituelles jusqu’à ce que la reine Anne meure à Kensington, sans héritier, le premier août 1714. »

Et il nous dit plus loin, page 109 :

« Le roi George 1er fit sa Joyeuse Entrée à Londres de façon magnifique le 20 sept. 1714 et, après que la Rébellion écossaise (en d’autre terme : l’ennemi écossais) fut terminée en 1716, les quelques loges de Londres se considérant elles-mêmes négligées par sir Christopher Wren jugèrent opportun de s’unir sous l’égide d’un grand maître comme centre d’union et d’harmonie… »

C’est ce qui s’appelle endormir la bête pour mieux la tuer … ou comment réécrire l’histoire à son avantage. Comme nous le montrerons cette accusation du pasteur Anderson à l’encontre du grand architecte n’est fondée sur rien et n’a pas de raison d’être, de plus il tend à montrer qu’un important événement s’est produit en 1714 à la mort de la Reine Anne sans en donner d’explication, enfin on comprend la prudence du rédacteur des constitutions de 1723, tandis qu’en 1738 Sir Wren est déjà décédé depuis plus de dix ans et dans un geste d’une incroyable félonie il fait endosser à l’illustre architecte un rôle taillé sur mesure dans la mise en place théâtrale de son  « revival » ! ..  la dernière grande figure est renvoyée sinon ridiculisée pour « incompétence ». A ce stade il convient de se rapeller de ce qu’écrivait René Guénon :

 » n’y aurait-il pas eu quelques bonnes raisons pour envelopper ainsi de mystère le passage de la maçonnerie opérative à la maçonnerie « speculative » ? « 

 
 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *