L’Odyssée du féminal : hommage à Lotus de Païni


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C’est dans ce parc, celui du Château de Bosmelet en pays de Caux, que Lotus de Païni trouva refuge et pu écrire ses plus belles pages.

Avant Simone de Beauvoir, il y eut Lotus de Païni !…

Cette femme remarquable qui œuvra aux côtés de Rudolf Steiner eut une succession souterraine allant de René Daumal à André Breton. Inclassable et volontairement marginale elle fut le plus souvent copiée puis rejetée.  Dans notre livre « La FEMME ET LE MYSTERE DU VEGETAL » nous lui rendons l’hommage qui lui revient puisqu’avec ce livre nous ouvrons notre collection sur « L’Odyssée du Féminal ».

Lotus de Païni est le nom de plume de Elvezia Gazzotti (née italienne, Copparo, petit village au nord-est de Ferrare, le 28 novembre 1862; décédée à l’hospice de Fumel, près de Puy-Lévêque (Lot), le 22 juillet 1953).
Elle s’éteint à 91 ans en pleine lucidité et ne cesse encore de consigner de feuillet en feuillet l’objet saisissant de ses visions intuitives et raisonnées, un perpétuel mouvement de pendule entre l’ancien âge d’or de l’humanité et aujourd’hui, un passé si lointain que seul un pouvoir de conteuse a pu réactiver dans notre actuel environnement mental.
Née en Italie, de père italien (Guiseppe Gazzotti) et de mère française (Thérèse Guignon), c’est avec celle-ci, et sa soeur Fiametta (1860-1940), de deux ans son aînée, qu’elle passe son adolescence sur la Côte d’Azur. Si elle suit des cours de peinture, elle s’en affranchit ensuite très vite pour travailler en autodidacte. A l’âge de 27 ans, en 1889, elle présente lors d’un Salon à Paris un premier tableau qui est remarqué, inaugurant une carrière de peintre : Théodora (-Impératrice de Byzance- huile très inspirée par l’allure scénique et l’un des costumes de Sarah Bernhardt, dans la pièce du même nom écrite par Victorien Sardou (1884)).
Entre-temps, vers 1888, elle se marie avec le Baron italien Nicolas Païni. de quatre ou cinq ans plus âgé qu’elle, riche rentier, qui possède une résidence à Nice. Elle devient alors Baronne Païni et évolue dans les cercles de la Haute Société. Elle est un temps professeur de dessin et de peinture en Roumanie, à Bucarest on réside sa soeur mariée à M. Mars, propriétaire d’un hôtel. Elle y est portraitiste de Cour à partir de 1894 et exécute notamment le Portrait de la Reine Carmen Sylva – Elisabeth I ère de Roumanie, sous son nom de poétesse -. A partir de 1897 elle habite Paris et expose sous la signature « Lotus » au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts : Portrait de Madame la Comtesse Tornielli. ambassadrice à Paris – épouse de l’ambassadeur italien – et Les Indiscrètes (scène de nus féminins à la facture très pré-raphaélite) en 1898 ; La Vie (Salon de 1899) offre une kyrielle de nus féminins imprégnée de féminisme mystique païen, dont la hiératique gestuelle est celle de la danse classique, encadrée par deux hommes nus de profil. La Vie est annoncé par la Baronne de Païni comme le premier d’une série inspirée par une pensée philosophique. Ce grand tableau symbolique, très marqué par Puvis de Chavanne, est le résultat des réflexions de son auteur, imprégné de sa vision historique et ante-historique du matriarcat (Bachofen), de la vision Isisienne de Madame Blavatsky, imprégnée donc des élans féministes qui entendent briser le joug d’une société patriarcale pour libérer l’ancien visage d’un âge d’or en affirmant, sacralisant et célèbrant l’émancipation moderne de la vraie vie de la femme, dont le soubassement est immémorial.
Quant à la signature « Lotus » (apparue dès 1889), fleur emblématique de la spiritualité bouddhique et théosophique, liée à l’éveil des chakras, elle est un symbole – et pour notre auteur un véritable Numen Mysticurn – qui caractérise bien le mécanisme à l’œuvre dont les livres seront le fruit : le Lotus, ou nénuphar rouge, plonge la nuit au plus profond des eaux de la mémoire, pour ramener celle-ci au matin et au jour à la visibilité de tous.

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Lotus de Païni à Dornach auprès de Rudolf Steiner, elle contribuera à la peinture de la coupole (l’Initié de l’Inde ancienne) du premier Goetheanum avant son incendie.

Après avoir divorcé d’avec le baron Païni, elle se remarie à Londres début 1900 – « mariage français à l’étranger » – avec Paul Pératé, né en 1869, docteur en médecine. Une semaine avant leur mariage, les deux époux sont entrés à la société Théosophique de France, encore embryonnaire. Ils habitent Paris et se rendent régulièrement en Normandie, où ils ont acheté une maison-château dans la campagne près d’Auffay (région de Dieppe) en 1899, revendue en 1903 ; près du Château de Bosmelet, propriété d’une grande amie de Lotus. C’est aussi en 1903 que Paul Péralté change officiellement son nom patronymique en 1903 (est-ce sur fond de réprobation familiale d’avoir épousé une personne divorcée, est-ce sur fond de préoccupation kabalistique, ou plus sûrement lié à la propension naturelle de Lotus à transformer les noms à sa convenance), elle devient alors Madame Péralté.
Le couple voyage notamment, en 1904, en Inde, à Ceylan, et au « Petit Tibet » ou Tibet de l’Ouest (actuels Cachemire et Jamul), région autorisée mais dont les routes accidentées dissuadent nombre d’occidentaux. Ce voyage marquera profondément Madame Péralté visitant des lamaseries et s’imprégnant du bouddhisme tibétain. Il est fait référence à ce voyage au détour d’une page des Trois Totémisations, Chapitre IX, visitant la lamaserie d’Hemis, au Ladakh.

En 1910-1911, un autre voyage toujours avec son époux la marquera particulièrement : l’Egypte au fil du Nil et de ses monuments. De ces deux voyages elle rapportera des tableaux – et des objets – dont elle fera donation au Musée Guimet, dont les Péralté sont sympathisants et assistent assidûment aux conférences qu’y donnent d’éminents savants, archéologues, égyptologues, mythologues, philologues, dont on retrouvera certains noms dans les références du triptyque totémique à venir. (…)

La postérité

C’est Henry Miller qui le premier la citera dans Books in My Life/Les Livres de Ma Vie (London, Peter Owen, 1952 ; Gallimard, 1957), Miller fait figurer le livre dans sa bibliothèque idéale, au rayon de ceux bons pour la seconde enfance. (p. 107 de l’édition française de1994) : Nous ne savons rien, en fait, de l’origine de l’homme primitif ni s’il était jeune ou décadent. (…) Il y a une faille dans les traces historiques les plus reculées et les traces que l’on a découvertes de l’homme préhistorique dont certaines branches, comme celles de Cro-Magnon nous déconcertent par les manifestations d’intelligence et de sensibilité esthétique. Les merveilles que nous nous attendons à voir jaillir sous le pic de l’archéologue, les fils qui forment la trame bien mince de nos connaissances concernant notre propre espèce se trouvent complétés sans cesse et de la façon la plus étonnante par ceux que nous qualifions avec un rien de condescendance d’écrivains « d’imagination ». Je ne parlerai pour le moment que de ceux-là puisque les autres, appelés parfois écrivains « occultes » ou « ésotériques » jouissent d’un crédit plus faible encore. Ils sont bons pour la « seconde enfance ».

Ensuite vinrent les surréalistes avec Gilbert-Lecomte, admirateur évident des Trois Totémisations. Il s’inspire dès 1930 sans la citer ouvertement de la conclusion du livre dans un texte fondateur du Grand Jeu (N°3, Automne 1930) : L’univers des Mythes- Est-il mort le Secret perdu dans Atlantis ? concernant des considérations sur le devenir de l’insecte-hominien Lotus de Païni – Les trois Totémisations, toutes dernières lignes :

Le matérialisme a fait bon ouvrage. Il nous a mis fermement sur nos pieds, il a organisé notre cerveau, il nous a donné une méthode, et cela a été pour nous une très rude totémisation « minérale ». Il a créé une VISION; peu à peu cependant il devra se satisfaire de n’être plus qu’une « seule » pierre de l’édifice humain; il deviendra une conscience lointaine qui enfantera à travers les espaces et se videra dans le temps, il deviendra une conscience qui, peut-être, dans sa forme ultime, sera comme une façon d’insecte, un minuscule et remarquable engin de guerre VIVANT, pendant que le Désir d’être humain se sera élancé plus loin, et sera porté à une autre puissance…
Roger Gilbert-Lecomte, L’Univers des Mythes, p.6 : L’enfer : c’est l’insecte. Ris donc, monstre hominien, ris si tu en as le courage, tu n’as qu’à persévérer dans la voie que tu suis sur le globe en ces jours, et réellement, cette ère ne passera pas que tu ne deviennes minuscule et coriace comme l’habitant des termitières qui est ton digne ancêtre et dont tu suis l’exemple. Perfectionne tes machines, rationnalise ton travail. Spécialise-toi, ta physiologie suivra et te transformera bientôt en l’outil de tes vœux. (..) Alors, conséquence obscure pour toi, et néanmoins fatalement directe tu perdras toute conscience individuelle.

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