Dans les années 20 de nombreuses communautés utopistes sur le modèle fouriériste se forment en Suisse, (Ascona et Monte Verita, Goetheanum près de Bâle) dont celle de Suhalia sur les hauteurs de Saint Moritz dans les Grisons. La Suisse déjà par son libéralisme et ses atouts climatiques attire les artistes et les riches désoeuvrés européens au prétexte de sanatorium ou de bain de soleil au grand air. On y va en cure entremêlant bains et soirées au casino !
Schwaller de Lubicz, créateur de phalanstère : dès les années 1916 Schwaller de Lubicz commence à songer à créer des groupes qui auraient pour dessein de restructurer la société épuisée par la guerre. En 1917, un petit groupe sous la direction de Schwaller se réunissait à la Société Théosophique. On y relève les noms de Georges Lamy, de Louis Alain guillaume, le mécène de Schwaller, négociateur en charbon pour l’Angleterre.
Il va dans ces années là faire une rencontre avec Lionel Hauser, cousin d’Henri Bergson et opulent banquier. Hauser, très sensible aux mystères du monde, avait été attiré par la Kabbale et en recherchant des livres sur ce thème avant la première guerre mondiale, il avait été mis en rapport avec Schwaller qui se disait alors réfugié alsacien connaissant fort bien la bibliographie relative à ce sujet. D’autre part, beau parleur, Schwaller était arrivé à convaincre Lionel Hauser que, s’il en avait les moyens, ses recherches sur la pierre philosophale aboutiraient très probablement.
C’est ainsi que Schwaller reçut une première pension alimentaire, à cette époque versée en franc-or, et travailla dans le laboratoire installé au cœur des locaux désaffectés de la banque Hauser, rue des Petits Champs. Un point est certain : Schwaller semble avoir donné d’excellents conseils à Hauser pour la constitution de sa bibliothèque kabbaliste, fort précieuse. Elle fut vendue à Londres, peu avant la Seconde Guerre Mondiale. A la suite d’un désaccord survenu entre les deux hommes (les assiduités repoussées auprès de l’épouse de son bienfaiteur), Hauser se sépara de Schwaller .
Cette première expérience va lui permettre de se constituer un carnet mondain des plus étoffé et l’idée du phalanstère réapparaît quelques années plus tard, utopie guère éloignée d’un certain fouriérisme social et élitiste. Schwaller de Lubicz compte sur une partie des Veilleurs pour le suivre sur le chemin de l’Éveil. Cette association ne sera pas sans rappeler celle des confréries pythagoriques et initiatiques de Crotone.
Pour sa logistique, René Schwaller trouve l’appui financier en la personne du fidèle Allainguillaume qui recherche pour sa compagne, Jeanne le Veilleur, rebaptisée « Isha », de santé fragile, l’air pur des Alpes. Si les problèmes pulmonaires de la jeune femme sont déterminants pour ce nouveau mode d’existence, plus proche de la Nature, il s’agit parallèlement de continuer l’action artistique et idéologique du groupe apostolique » sur des hases plus solides, plus anonymes, et de créer un centre expérimental pour l’alchimie des consciences : les directives philosophiques étant inspirées non seulement par les règles de cette nouvelle thélème, mais aussi par la mystique soufiste et le bouddhisme tantrique. Le lieu choisi coïncide avec une région déjà chantée par de nombreux poètes qui viennent depuis 1918 sur les traces du penseur Nietzsche sur la presqu’île du lac de Sils Maria, non loin d’un antique lieu de cure redécouvert par Paracelse en 1535. De nombreux atouts pour ce coin de terre isolé de tout mais où paradoxalement l’élite du monde entier converge.
De plus, la femme de Coton-Alvart, d’origine helvétique, obtient les autorisations nécessaires à l’entreprise. Un ancien centre de vacances a été trouvé dans le quartier de Suvretta : ce sera Suhalia. Quelques bâtisses en pierres de taille se dressent au-dessus du lac de Silvaplana, et qui vont successivement être agrandies, reconstruites et remodelées selon l’optique des Veilleurs.
En 1922, l’incendie perpétrée lors de la Saint Sylvestre par des extrémistes allemands (sans doute les Nazis) contre la fondation de Steiner à Dornach, près de Bâle, le Goetheanum, rappelle à Schwaller de Lubicz de quelle manière Steiner avait quitté la Société Théosophique pour suivre sa propre voie, en attirant à lui, en Suisse, des personnages tels que l’ethnologue italienne Lotus de Païni ou encore Edouard Schuré (l’auteur des Grands Initiés).
Le hameau de Suhalia, juché à plus de deux mille mètres d’altitude et racheté par Louis Allainguillaume en 1922, fait donc rapidement l’objet de travaux d’aménagement et d’agrandissement selon des directives précises, comme c’est le cas pour la construction du petit observatoire qui sera dirigé par M. Quénisset, astronome à l’observatoire Flammarion de Juvisy ».
Le cercle regroupera, au-delà d’une partie des Veilleurs divers artistes de passage dont Joan Miro et surtout le poète et sculpteur Hans Arp. C’est d’ailleurs Arp qui supervisera l’installation d’une partie du décor à la fois « arc nouveau » et « templier » de la salle de conférence et du salon.
De nouveaux disciples commencent à affluer vers le nouveau centre artisanal et scientifique futuriste de Suhalia, comme l’ingénieur Paul Gübler ou encore Wolf von Salis (dont la famille entretiendra des liens intimes avec Rilke qui séjourne en Suisse à la même époque). Wolf von Salis traduira en allemand pour certains disciples les enseignements du Maître « Aor ». le centre sera en pleine activité en 1924.
L’appel du Feu « Aor »
Pénétré par cette nature mystique des lieux, René Schwaller se voit déjà investi par l’esprit subtil et apocalyptique des mondes parallèles. L’illumination ne tarde pas à « enflammer » bientôt cinq nuits d’affilées « Aor », au Pin Neir qui se dresse au-dessus de Suvretta ; il est fasciné dans les solitudes alpines au crépuscule face aux glaciers rougeoyants du Corvatsch par « un guide spirituel » qui lui lègue quelques pans de cette connaissance intégrale. Il semble avoir rencontré à son tour son « Zarathoustra ». Moment de communion privilégiée et de révélation, l’ancien « frère d’Elie » écrit bientôt sous l’inspiration de son daïmon des considérations sur Le Langage, La Société, La Science, La Vie et jusqu’à l’épilogue — Au Grand Soleil, à l’aube du cinquième jour. Le texte sera imprimé à Suhalia en 1926 et intitulé : L’Appel du Feu: « Tout passe hormis la conscience » écrit Schwaller de Lubicz.
Les activités du centre : comme pour son concurrent anthroposophique, les activités se partagent entre travaux au laboratoire et exercices à l’oratoire, entre des recherches spagyriques, homéopathiques, des exercices de spiritualité, et des études sur la conception de nouveaux moteurs sans oublier l’un des principaux fil conducteur : l’étude de la coloration du verre de vitrail.
à venir : Le laboratoire Suhalia : signatures astrales et homéopathie. Extrait d’un texte de Schwaller de Lubicz. Le secret de l’indigo.
« le FEU, état radian, participe du sec et du chaud
le Rouge participe du Violet et de l’Orangé
Le chaud sera orangé
l’AIR, état volatil, participe du chaud et de l’humide
Le Jaune participe de l’Orangé et du Vert
L’humide sera Vert
l’EAU, état liquide, participe de l’humide et du froid
Le Bleu participe du Vert et de l’Indigo
Le froid sera indigo
la TERRE, état solide, participe du froid et du sec
L’indigo participe du Bleu et du Violet
Le sec sera Violent »
Le miracle égyptien, Schwaller de Lubicz
Avec l’étude de l’Indigo, Aor met ses pieds dans la trace du Maître, pré-science ou intuition ou encore passation et legs des connaissances. Bref, quoiqu’il en soit nous voilà revenu dans l’orbite d’un autre adepte ayant pris la fleur de Violette comme emblème !… En effet derrière le secret de l’Indigo se cache en réalité celui du ferment universel.
Mais de quoi parlons nous au juste ?
à suivre ici : Schwaller de Lubicz, Fulcanelli ou le secret d’une petite fleur