Les pièces du dossier : troisième volet sur les fours de l’Adepte. Ils sont nombreux sur son chemin et pour ne citer que les principaux : Dampierre sur Boutonne, le poêle de Winterthur dont nous retraçons l’historique souvent ignoré jusqu’aux fours électriques construits avec son ami Henri Moissan.
Les fours en céramique offraient aux imagiers comme à son commanditaire l’occasion de dévoiler une partie de son grimoire pour qui sait lire. En la matière le four de Winterthur a été cité à deux reprises par l’Adepte, preuve s’il en est de son intérêt pour l’Athanor comme pièce maitresse du Grand Œuvre. Ici, Fulcanelli décrit « une pyramide en tôle rivée ». Celle-ci est en pierre maçonnée avec décoration de motif végétal sur ses angles.
Les « portes de côté » masquant « des fenêtres vitrées » sont des livres portant deux fermoirs. La bouche du cendrier est également un livre. Pour réaliser le Grand Œuvre, faut-il d’abord en observer les phases dans les livres et régler le régime du feu par les lectures ?
Le heaume, les gants et l’armure indiquent à l’aspirant les combats à venir et leurs dangers. Ainsi il acquiert le titre de chevalier, de « disciple d’Elie » et gagne la couronne, au centre de l’athanor, symbole de la royauté acquise par le fruit de son labeur.
Le poêle ou four de Winterthur est autrement plus intéressant dans son déchiffrage en forme de rébus ou cabale solaire …
Bref historique des fours entre la Suisse, l’Allemagne et la Lorraine.
En l’an de Grâce 1705, lorsqu’un poêle était commandé, le gentilhomme céramiste recevait son client à l’atelier, pour décider avec lui des tableaux qui allaient être peints et les images étaient, presque toujours, choisies parmi les estampes publiées par les graveurs renommés de l’époque. Le sens alchimique qui se découvre sur la plupart des fourneaux de ce genre, à donc souvent son origine dans les tailles-douces des recueils d’emblèmes, autres Songe de Poliphile au message plusieurs fois remanié.
Les céramistes, comme les émailleurs et les verriers, apprenaient l’alchimie avec le métier, quoique tous n’aient pas travaillé au Grand Œuvre. Les confréries de ces arts, les Zünfte d’Allemagne ou de Suisse, réunissaient des gentilshommes qui étaient en constant contact avec les arcanes du laboratoire, de sorte que parmi tous ces spagyristes chevronnés il devait se trouver beaucoup de philosophes hermétiques.
Importée de Faenza ou d’Urbino, la technique utilisée à Winterthur est très bien décrite par Cyprian Piccolpassi, en son traité des Trois Libvres de l’Art du Potier dont l’édition française se termine sur ce conseil :
«Ainsy travaille soubs ung bon maistre, va questan la fortune des beaulx secretz, manoeubvrant, adiustant, refecsant à nouveau, peincturant trez plus finement, invenctant les nobles phantasies, pourchassant les aornementz precieulx et reliefz trez plus exquiz; ainsi prendras expérience et aquesteras talent que fault à tout».
Au cours de son apprentissage, le futur maître étudiait les tours de main dont le secret se transmettait de bouche à oreille. Il lui fallait d’abord se familiariser avec la terre, savoir la choisir, l’émonder puis la travailler et s’accoutumer ensuite, peu à peu, à la pratique du feu, stade où l’apprenti devait sans doute peiner longtemps, avant que le maître n’accepte de l’initier au travail de la » coubverte ».
A cette époque, le céramiste élaborait ses couleurs lui même, quoique souvent il confiait certaines préparations secondaires à des ouvriers habiles au laboratoire et dignes de confiance. Ces hommes de main, quelquefois indispensables aux maîtres trop âgés, n’avaient pas toujours conscience de l’état sublime des matériaux qui pouvaient leur avoir été confiés, entre deux livraisons plus vulgaires. Les procédés employés pour colorer les fondants nécessitaient la connaissance de paramètres dont la divulgation était durement réprimée. Du simple palier de la température jusqu’à la préparation de la pâte, passant par le poids juste qui ne fera pas souffrir la couleur, les tours de main de l’art n’étaient révélés qu’à des gentilshommes, et depuis l’émail jusqu’au cristal, par tous les degrés de la transparence, la maîtrise de la pratique demandait une vie. C’est ce qui fera aussi la différence que nous verrons entre un David Sulzer et son copiste.
A la page deux cent six du Mystère des Cathédrales, Fulcanelli donna au céramiste une précellence sur le verrier : «La Sybille, écrivit-il, interrogée sur ce qu’était un Philosophe, répondit : c’est celui qui sait faire le verre. Appliquez-vous à le fabriquer selon notre art, sans trop tenir compte des procédés de verrerie. L’industrie du potier vous serait plus instructive ; voyez les planches de Piccolpassi».
Il est donc plus que vraisemblable que l’adepte qui est à l’origine du poêle de Winterthur, produisit son chef-d’oeuvre au sein d’une confrérie qui en avait réalisé bien d’autres…
deux artisans préparant un tonneau, dont l’un donne forme à un cerceau qu’il destine à l’ouvrage
L’Amoureux de Science, en cette cuve de bois, a reconnu la tonne c’est-à-dire Latone, mère de Diane et d’Apollon, les jumeaux hermétiques mâle et femelle ; tandis que l’exotérisme considérera que les citoyens qui se laissent courber, sont les liens qui maintiendront l’ouvrage social symbolisé par le vaisseau de chêne.