Zacharias Werner et les Fils de la Vallée


L’initiation, les débuts (1792 -1797). La franc-maçonnerie en Prusse orientale

couv_zachariasLe 7 janvier 1792, il venait alors d’avoir vingt-trois ans, Werner se faisait admettre à la loge des Trois couronnes (zu den drei Kronen) de Königsberg. Aucun document ne nous permet de dire avec certitude quels furent les mobiles de cette décision. Nous en sommes donc réduits à de simples conjectures. Vierling et, après lui, Han­kamer pensent qu’il adhéra à la Franc-maçonnerie surtout par intérêt, par ambition, afin de se créer des relations utiles et de se concilier les bonnes grâces de personnages influents. Il n’est pas impossible que le souci de son avenir ait eu part à sa résolution. Il est cependant permis de croire qu’il n’en fut pas la seule ni, surtout, la principale raison. Si Werner ne fit pas toujours preuve d’un désin­téressement exemplaire, s’il sut même habilement tirer profit de ses amitiés, il fut pourtant le contraire d’un arriviste animé d’une volonté froidement calculatrice, et n’eut aucune ambition de carrière. D’ailleurs, comme il était déjà membre de la Freie Gesellschaft, société très fermée où il fréquentait la plupart des personnalités de la ville, c’est-à-dire tous les hommes qui, à des degrés divers, étaient en mesure de lui accorder, le cas échéant, une protection efficace ou de lui rendre un bon office, il eût pu, dés lors, se soustraire aisément à une obligation sans objet, car, à quelques exceptions près, les mêmes personnes se rencontraient à la loge et à la société savante.

(…)

La remarque n’est certes pas contestable, Werner était un faible ; mais encore faut-il la dépouiller de son intention polémique : en effet, la Franc-maçonnerie jouissait alors dans toute l’Allemagne et particulièrement dans l’aristocratie et la haute bourgeoisie d’un tel prestige que l’affiliation du jeune homme, fils d’un professeur à l’Université, membre d’une des familles les plus en vue de la ville, apparaît comme une chose trop naturelle pour qu’il faille en rechercher la cause dans un manque de caractère. Sans doute, la curiosité, l’espoir d’un profit, le conformisme sont à l’origine de nombreuses affiliations, mais d’autres mobiles moins futiles rendent également compte d’un certain nombre d’entre elles. Werner est tout simplement devenu Franc-maçon comme le sont devenus la plupart des bons esprits de son temps, et pour des raisons analogues : non par dessein de se pousser dans le monde ou par désir de suivre une mode, un usage de bon ton, mais pour des motifs plus désintéressés et plus personnels. Son goût pour le faste et la solennité des cérémo­nies enveloppées de mystère, pour des rites nimbés d’une atmosphère de sacralisé, son espoir, surtout, d’accéder à des révélai ions que la Franc-maçonnerie se targuait de pouvoir seule dispenser à ses grands initiés, exercèrent un singulier attrait sur son âme imaginative, ardente et foncièrement religieuse. Très tôt détaché du protestantisme rationaliste, Werner semble avoir recherché dans des ouvrages d’hermétisme la solution des problèmes que le dogme luthérien laissait sans réponse ou du moins sans réponse satisfaisante. Le passage suivant d’un curieux billet qu’il envoya à son ami Fenkohl le 21 avril 1789, trois ans avant son admission à la loge, ne laisse aucun doute sur ce point : « Pense au Christ lorsque ses plus fidèles le fuient, que personne ne le connaît et que tous le crucifient. Prie pour lui et pleure son destin et Jérusalem. Bientôt se manifestera le novénaire sacré, puis quelque temps encore, et nous nous reverrons soit parmi les corps rayonnants dans les campagnes sacrées d’Ailaht, soit dans l’émanation de la lumière éternelle. »

(…)

Au moment où Werner entra dans la Franc-maçonnerie, on ne comptait pas moins de cinq loges à Königsberg : celle des Trois couronnes, sous la dépendance de laquelle se trouvait celle de la Persévérance (Zur Beständigkeit), celle de Saint-André au flambeau d’or (Andreas zur goldenen Leuchte), celle de la Tête de mort (zum Totenkopf), et enfin celle du Phénix (Phoenix). Il ne semble d’ailleurs pas que cette diversité lui ait causé quelque embarras. En effet la loge de Saint-André au flambeau d’or, qui avait un caractère aristocratique très marqué, n’admettait guère que des nobles à ses travaux, et les trois loges à la Tête de mort, au Phénix et à la Persé­vérance, la première fondée en 1772, la seconde en 1775 et la troisième en 1790, paraissent avoir surtout recruté leurs membres dans la petite bourgeoisie commerçante et artisanale. Par contre, les Trois couronnes étaient la loge de l’aristocratie intellectuelle et de la haute bourgeoi­sie. Parmi ses membres les plus anciens et les plus actifs figu­raient de vieux amis du père de Werner : le conseiller à la guerre Johann-George Scheffner, Christoph-Ludwig Hoffmann, le père de l’écrivain, le conseiller Theodor-Gottlieb von Hippel qui en fui long­temps le maître en chaire, très au courant des problèmes de la Franc-maçonnerie sur laquelle il écrivit en 1793 un roman satirique resté célèbre, Croisades en zig-zag du chevalier A à Z (Kreuz-und Querzüge des Ritters A bis Z), enfin le conseiller à la guerre Johann Linck, qui avait épousé la cousine de Werner, Amalia-Dorothea Kupner.

C’est donc aux Trois couronnes que se fit recevoir le jeune homme. Cette loge était l’héritière de la loge aux Trois ancres (zu den drei Ankern), loge bleue qui fut fondée le 12 septembre 1746 et termina ses travaux le 7 décembre 1757. Peu de temps après, un gentilhomme russe ou courlandais, le baron von Schröders, ouvrit, pendant l’occupation de Königsberg au cours de la guerre de Sept ans, une loge de rite écossais, la loge de Saint-André au flambeau d’or qui rassembla les membres de l’ancienne loge aux Trois ancres. A son tour, elle créa le 10 juin 1760 la loge fille aux Trois couronnes, de rite johannite, ne pratiquant par conséquent que les trois grades symboliques, alors qu’elle se réserva le droit de décerner les hauts grades écossais.

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