La vierge alchimique de Reims
L’émergence du concept de l’Immaculée conception ne se fit pas sans mal et c’est l’historien d’art Emile Mâle qui se chargea d’en déchiffrer les différents méandres sémantiques. On s’empresse de souligner que cette idée – l’Immaculée conception – ne doit pas être confondue avec cette autre idée de la naissance virginale de Jésus, né de Marie. Louis Mâle pose ainsi le problème :
« Vers la fin du XVème siècle, une idée mystérieuse, qui, depuis plus de cinq cents ans, germait secrètement dans les âmes, leva soudainement. Il apparut avec évidence aux théologiens que la Vierge n’avait pu participe à la faute originelle, et qu’un décret particulier de Dieu l’avait exceptée de la loi. Exemplaire parfait d'(une humanité nouvelle, Marie, semblable à Eve au sortir des mains de Dieu était, entrée dans le monde, sans porter le poids du Péché. » (L’Art religieux à la fin du Moyen Age en France)
Ce tableau qui a suscité bien des interrogations se trouve au musée de l’Ancien Collège des Jésuites de Reims et figure au nombre restreint des demeures philosophales dont nous faisons l’inventaire. Il fut signalé par Oswald Wirth qui en fit un commentaire en 1909.
Reditus Virginis ou introduction au mystère de l’autogenèse : La Vierge occupe largement le centre, comme personnage principal. Au-dessous d’elle s’étalent les mots : Parthe-nos ousa tekon : teknon mè ekousa tokéas, ce qu’on peut traduire comme « Vierge étant j’ai enfanté : un enfant n’ayant pas de géniteurs ». Mais cette traduction est fausse ! car le point virgule en grec est équivalent à un point d’interrogation (pour qui a fait un peu de grec) et donc nous avons :
AI- JE ENFANTE ETANT VIERGE ? ENFANT N’AYANT PAS DE PARENTS
Debout sur un croissant (cf. Apocalypse, XII, 1), elle porte une couronne de huit étoiles, nombre qui correspond à celui des personnages du bateau ; c’est aussi, souvent, un nombre féminin et maternel, voire le nombre du Christ — en relation avec la résurrection du Sauveur, ou avec le double quaternaire (l’initiation parfaite). A ses pieds, un globe terrestre, un génie tenant un carquois et une flèche. Deux anges la soutiennent, dont on voit seulement la tête et les ailes, Sous le croissant, un dragon vomissant des flammes, la tête dirigée vers le vaisseau. Sous les anges du bas sont inscrits les chiffres : 1266 et 1137.
Elle a les bras étendus et tient dans la main droite un vase à têtes d’oiseau, dans la gauche une maison ou un temple. Notons que le globe, sous le croissant de lune, est ailé (l’on songe ici à l’adage alchimique : « donner des ailes à la terre », c’est-à-dire « spiritualiser la terre, le corps »). Ce globe est vert, comme la boule d’émeraude au centre de la sphère armillaire. Le cœur tenu par l’ange qui se tient près de cette sphère ressemble à celui sur lequel repose l’enfant Jésus sur la nef.
Les deux ensembles de quatre nombres sont une référence à Apocalypse, XII, 5 : « La femme [aux douze étoiles] s’enfuit dans le désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu’on l’y nourrisse pendant 1260 jours. » Mais alors, pourquoi 1266 et pas 1260 ? Notons la disposition des chiffres (les blancs), pour bien additionner les deux lignes : le résultat est 233 676 (ce qui donne 9 par réduction théosophique). Quant à 1137, qu’on retrouve avec l’autre chiffre, près du roi fleur-delysé, il correspond à la date de l’avènement de Louis VII —ainsi qu’à celle d’une lettre de saint Bernard sur l’Immaculée Conception. Si 1266 aussi est une date, elle correspond au règne de Saint Louis mais ne semble point marquante ; c’est en effet en 1267 qu’il partit pour la seconde croisade de son règne, où il trouva la mort. 1266 se situe entre la septième (1240) et la huitième (1270) croisades. Remarquons aussi qu’à l’exception du 1, les nombres du premier chiffre sont pairs, et que ceux du second sont impairs ; est-ce une allusion à un principe masculin et à un principe féminin ? Enfin, si nous retirons les trois 1, c’est-à-dire si nous extrayons le triangle (divin, parce que trinitaire) de l’ensemble des nombres, il reste 266 et 37, dont l’addition est un nombre symétrique : 303.
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En réalité ce tableau, outre sa thématique à résonance alchimique, ouvre sur un autre mystère encore plus profond celui de la genèse ou de la conception. Un nom ? Parthénogenèse. telle est la proposition de la citation grecque dont l’autre versant est l’autogenèse, qui est le miracle de l’ETRE.
« Ab initio et ante secula creat sum (Ecclesiastic, XXIV, 14)
Telle est la formule de la Sagesse qui s’exprime également sur l’une des tapisseries de la Cathédrale de Reims (Rencontre de Joachim et d’Anne à la Porte Dorée). Si Sapienta désigne d’abord la saveur des choses (sapidité) il renvoie également au faire savoir de l’artisan (le potier par exemple) . C’est ainsi que la sagesse personnifie l’être sans parent du tableau rémois et devient aussi un aspect de la Nature dont on dit aussi qu’elle n’a pas d’âge. La nature est également sans père ni mère car foyer radiant de tout ce qui est est. Ce tableau est si riche en symboles (bien plus riche que tout ce que la vulgate maçonnique peut contenir !) que nous rencoyons à la lecture de notre ouvrage .