Aucassin et Nicolette ou le secret de la noix de galle


Aucassin-NicoletteEn exemple de la langue des oiseaux nous aurons l’occasion de le démontrer au travers de l’analyse d’un petit roman à clefs « AUCASSIN & NICOLETTE ». C’est la touchante histoire de deux adolescents qui s’aiment : Aucassin, fils du Comte de Beaucaire, et Nicolette, enlevée en bas âge par des Sarrasins et considérée comme serve, bien qu’elle soit en réalité fille du roi de Carthage. Après beaucoup de traverses et de dangers, de longues séparations, ils finissent par se réunir et s’épouser… Chantefable du XII ème siècle et exemple édifiant du récit à clefs.

Le secret de la noix de Galle.

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Fulcanelli, adepte de la « cabale phonétique », appe­lée encore « cabale hermétique » ou « langue des oiseaux », procédé qui tire des significations profondes de la simple homophonie, rapproche ces formes sphériques « que le chêne porte souvent sur ses feuilles », ces « petites excroissances rondes et rugueuses, par­fois percées d’un trou, appelées noix de galle (latin galla) », dans un premier temps, des mots « Gallia » et « galles », c’est-à-dire de la « Gaule » et du « coq », pour ajouter : « Le coq est l’emblème de la Gaule et l’attribut de Mercure, ainsi que le dit expressément Jacob Tollius ». Les savants n’excluent pas l’idée que « gallus », « coq » et « gallus », « gaulois » soient un seul et même mot. Et ils considèrent comme assuré que « gauge » vient de « gallica nux », qui devient « noix gauge » en français.

Quoique sarrasine, Nicolette a, par la médiation des noix, des seins « gaulois », qui sont aussi, à la rigueur par l’étymologie, mais à coup sûr par l’alchimie, « coquets », et donc « mercuriens » avec tout ce que cela entraîne de puissance transmutante. La noix du noyer donne l’huile qui est abondamment présente dans le langage hermétique, comme le prouvent ces quelques extraits du Rosaire des Philosophes :

« Tu dois savoir que du plomb des philosophes on tire une certaine huile de couleur dorée ou presque. (…) Elle te débarrassera de tout travail de solution et de coagulation. La raison en est que c’est une huile cachée qui rend la médecine pénétrante, amicale et susceptible d’être unie à tous les corps et elle augmentera son efficacité au-delà de toute mesure et il n’est rien au monde de plus secret. (…) L’huile sort en liqueur, c’est-à-dire en âme.« 

 Deux indications de Pernety nous permettent de préciser quelle est cette huile. Les Philosophes, dit-il, « ont donné ce nom à la matière même lorsqu’elle a pris une couleur et une viscosité huileuse ; et ce qu’ils appellent leur « huile essentielle », « c’est le soufre volatil des métaux philosophiques ; c’est-à-dire, leur âme ou le mâle, le soleil, Fer des Sages ».

Quant à la « noix » du chêne, deux banales notations de dic­tionnaire en soulignent, involontairement, la richesse de signifian­ce alchimique : article « Galle ». « La noix de galle, riche en tanin, est utilisée pour la fabrication de teintures (voir Gallique) » ; article « Gallique ». « Qui provient de la noix de galle. Acide gallique ».

« Teinture » est l’un des termes clefs de la littérature hermétique. Énumérant les vertus « naturelles » et « opportunes » de « notre Pierre », l’auteur du Rosaire des Philosophes écrit : « La septième propriété est la teinture qui donne une couleur éclatante et parfaite, blanche et d’un jaune intense, conférant la nature de la lune et du soleil aux choses susceptibles d’être transmuée ». Pernety confirme cette assertion quand il dit :

« La teinture est le dernier degré de la transmutation des corps naturels. Elle conduit à la perfection toutes les choses imparfaites« .

L’acide lui aussi, sous l’appellation de « vinaigre » ou de « vinaigre très aigre », occupe une place décisive dans le discours alchimique. Voici un passage du Rosaire des Philosophes, qui vérifie cette affirmation : « L’argent-vif est le vinaigre. C’est pourquoi Socrate dit dans la Tourbe : la première puissance est le vinaigre, c’est-à-dire l’argent-vif. D’où la Tourbe : si vous placez le corps sans vinaigre dans le feu, il sera brûlé, c’est-à-dire sans argent-vif. La Tourbe dit : C’est le vinaigre très aigre qui fait le corps pur sans lequel nulle couleur n’apparaît ».

Dans un second temps, Fulcanelli rapproche la noix de galle d’un vocable hellène désignant ce que le sein peut volontiers contenir passant ainsi, selon une pente naturelle de l’esprit, de la forme du contenant à la substance du contenu :

« Gala, en grec –  dit-il – signifie lait, et le mercure est encore appelé Lait de Vierge (lac virgiuis) ».

Pernety nous éclaire sur ce point aux articles « Lait Virginal » et « Lait de la Vierge ou Lait des Philosophes ». Il définit ces expressions équivalentes de la manière suivante : « C’est le mercure des Sages, sous la forme d’eau laiteuse dans la voie humide. Quelques-uns lui ont donné ce nom dans la voie sèche, lorsqu’il est cuit au blanc ».

Mais « le lait de la Vierge » étant un emprunt hermétique au mystère proprement marial, il n’est pas étonnant que Michel Maier, dans ses « Symboles de la Table d’Or », « Symbola Aureae Mensae, ait choisi, « pour commenter » une gravure représentant « la Madone allaitant », cette « épigraphe » : « Lapis, ut infans, Jacte nutriendus est virginali » (La pierre, comme un nourrisson, doit être nourrie de lait virginal) ». Certes Nicolette n’est pas la Madone, mais par son courage, sa droiture, sa grâce et sa pureté, elle est la lumineuse image de celle que l’on appelle : « Vierge fidèle », « Miroir de Justice », « Cause de notre joie », « Rose mystique », « Maison d’or », « Arche d’alliance », « Étoile du matin ». En tant qu’image d’un Miroir, la radieuse héroïne de l’unique chantefable relève doublement de l’univers alchimique, puisque l’alchimie a été définie « la science des images que le Thot grec (c’est-à-dire Hermès Trismégiste) montre dans le grand et universel Livre de Vénus ; la science des miroirs (…) comme Aristote le montre (…) ».

Le Miroir Naturel de Vincent de Beauvais, constamment cité dans le Rosaire des Philosophes, est aussi un miroir de l’alchimie, qu’il présente, à juste titre, comme

La raison pour laquelle les seins de Marie, et donc de Nicolette, peuvent être regardés comme le miroir de l’oeuvre, réside dans la symbolique universelle et dans la Table d’Émeraude, charte de l’alchimie. Pour la première « Le sein droit symbolise le soleil et le gauche la lune ». Pour la seconde, qui vient de parler de « cette chose unique », de laquelle « toutes les choses sont nées (…) par adaptation », « Le Soleil en est le père, et la Lune la mère ».

Les parents de l’Élixir, de la Fontaine de Jouvence, de la Médecine universelle et de la Poudre de projection sont, en image, plus proches du coeur de la femme que du firmament, car certains adeptes, cités par Fulcanelli, assurent que « le soleil et la lune du ciel ne sont pas les astres des philosophes ».

Cependant d’autres fragments du discours alchimique semblent moins songer aux carnations lumineuses et délicates du disque solaire et du disque lunaire, qu’une gorge féminine peut évoquer pour refléter les géniteurs de l’oeuvre, qu’au relief heureux de ces éminences naturelles et à la chaleur accueillante et douce du vallon qui les sépare.

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