L’ancêtre du Chat Noir : le club des Hydropathes
Il convient de porter l’attention sur le plus célèbre cabaret montmartrois : Le Chat Noir. Pour en retracer l’histoire, il faut partir du Quartier latin, notamment de l’activité du club des Hydropathes.
En 1878, Émile Goudeau et son frère Léon louent une salle au premier étage du Café de la Rive Gauche ; il s’agit de la première salle officielle des Hydropathes ; suivront plusieurs autres endroits hébergeant ce groupe d’artistes, souvent renvoyés par les propriétaires à cause du tapage qu’entraînent leurs réunions. Michel Herbert nous dévoile le secret de ce nom si original :
« Le terme plut à cause de son étrangeté et de son euphonie. Il s’était imposé à Goudeau au cours d’une séance du Concert des Champs-Élysées, […] alors que l’orchestre jouait une valse allemande du maestro Joseph Gungl : Hydropathen Waltz. Le poète [Goudeau], qui avait fait dériver Hydropathe du grec Udor patein [sic] pensa y voir une analogie avec son propre nom patronymique. […] Goudeau décrivit l’Hydropathe comme un animal fabuleux aux pattes de cristal (Pathen: pattes. Hydro: en eau cristallisée). Il ajouta qu’une dénomination aussi imprécise avait l’avantage de ne limiter en rien l’activité de la société nouvelle et la laissait libre, au besoin, de modifier ses doctrines initiales.»
Les soupçonnant de conspiration, la police ne manque pas de leur rendre souvent visite pendant leurs bruyantes réunions ; toutefois, l’activité des concerts, première raison de ces réunions, se poursuit. Ainsi Maurice Rollinat, Georges Lorin, André Gill et Jules Jouy animent-ils les soirées des Hydropathes. À ces artistes, que nous retrouverons au Chat Noir, il faut ajouter la présence de la seule femme dans les cabarets de la rive gauche: Marie Krysinska. Musicienne de talent, elle composait des accompagnements sur des textes de Baudelaire, de Verlaine et des mélodies de chanson. Son intérêt pour le vers libre, selon l’air du temps, la mit en concurrence directe avec Gustave Kahn, qui, lui aussi, se considérait comme l’inventeur de cette nouvelle façon d’écrire. Elle aussi emménagera dans le cabaret de Salis, mettant en musique des poèmes de plusieurs auteurs, parmi lesquels ceux de Gabriel Montoya occupent une place singulière.
Les séances des Hydropathes se déroulent toutes plus au moins de la même façon: le concert est accompagné par des exclamations, des invectives, des disputes qui souvent obligent le musicien à s’arrêter, jusqu’au moment où le président met fin à la séance en expulsant les tapageurs. Le programme est souvent improvisé et hétéroclite; les Fumistes, animateurs de ces soirées, sont responsables de la plupart des troubles au cours des réunions.
En 1881, Goudeau s’affronte directement avec les Fumistes : désemparés, les Hydropathes essaient alors de se reconstituer sous une autre dénomination, d’abord celle de Mécénéoliens et ensuite celle des Hirsutes. La véritable réponse à la crise interne que traversent les Hydropathes ne tarde pas. Ils décident de quitter le Quartier latin et de «monter» vers la Butte sacrée, abri des artistes et nouveau centre de la vie intellectuelle parisienne.