Quadrilobe représentant Gédéon et le miracle de la Toison d’Or (thème de l’humide radical) , portail occidental de la Mère Dieu, planche XXVI de l’édition originale du Mystère des Cathédrales de Fulcanelli, illustré par Julien Champagne. Placé dans un renfoncement du portail occidental, il fallait avoir l’oeil averti pour remarquer ce médaillon qui s’insère avec trois autres médaillons, le buisson ardent de Moïse, le songe de Nabuchodonosor et la verge d’Aaron …
Ecoutons le commentaire de Fulcanelli sur ce motif :
« Le maître anonyme qui sculpta les médaillons du porche de la Vierge-Mère a très curieusement interprété la condensation de l’esprit universel; un Adepte contemple le flot de la rosée céleste tombant sur une masse que nombre d’auteurs ont prise pour une toison. Sans infirmer cette opinion, il est tout aussi vraisemblable d’y soupçonner un corps différent, tel que le minéral désigné sous le nom de Magnésie ou d’Aimant philosophique.
On remarquera que cette eau ne tombe pas ailleurs que sur le sujet considéré, ce qui confirme l’expression d’une vertu attractive cachée dans ce corps, et qu’il ne serait pas sans importance de chercher à établir. »
Concernant cette rosée céleste et en se référant au disciple présumé, s’agit-il de la rosée d’avril ou de mai ? Eugène Canseliet apportera des précisions en 1945 puis en 1979 dans ses Deux Logis Alchimiques:
« La terre alchimique, en effet, si elle doit être abondamment arrosée, ne deviendra féconde, qu’après avoir été tout aussi copieusement abreuvée de l’esprit astral et humide que les auteurs dénomment rosée céleste.
Beaucoup se méprennent sur la réelle signification de cette manne, et n’hésitent pas à effectuer, sans prendre garde au caractère de similitude, l’opération banale que montre la quatrième planche du Mutus LIBER;
Toujours à Amiens, Eugène Canseliet, dans son Alchimie expliquée sur ses textes classiques (1972) la relation faite d’une expérience faite au XVIIIe siècle par un médecin amiennois nommé Gosset.
Gosset fut profondément impressionné par la phrase qu’il avait lu dans le volume de Van Helmont, qu’il reproduisit dans le sien :
« Arte didici rorem saccharo esse divitem & multis morbis opitulantem.
Par l’art, j’ai appris que la rosée est riche en suc et remédiant à de nombreuses maladies. »
La condensation de l’Esprit Universel
Julien Champagne signe ce tableau à la peinture orange en bas à droite « J Champagne 1910 ». Il est alors âgé de trente trois ans.
La reproduction de ce tableau ne se fera qu’en 1979, soit 69 ans après à l’occasion d’une réédition des « Deux logis alchimiques ». L’édition originale des « Deux logis alchimiques » d’Eugène Canseliet est publiée en 1945 chez l’éditeur Jean Schemit, éditeur des oeuvres de l’Adepte signées Fulcanelli. Elle ne contient pas la reproduction de cette peinture. Il faut attendre sa réédition, en 1979, pour que cette toile soit révélée.
Eugène Canseliet, propriétaire du tableau, en fait le commentaire en 1979 :
« L’exquise et pure création qu’incarne cette jeune femme, c’est-à-dire la Pierre ou la Médecine Philosophale, prend naissance, se dégage et s’élève de la masse vitreuse qui est le matras de la coction finale, selon les Adeptes inscrits en lettres d’or, sur deux colonnes, à l’intérieur et de chaque côté de la composition. Certes nul autre document ne pouvait mieux s’offrir, en frontispice, à notre livre revu et très abondamment augmenté, ainsi qu’à la série magnifique de ses images en couleurs, que l’allégorique tableau duquel Fulcanelli ordonna la pensée, et Julien Champagne fut le réalisateur fidèle et prestigieux, il y aura bientôt soixante dix années. Nous utilisons à son heure, et sans doute selon que cela devait être, cet important témoignage philosophique qui consiste donc en une peinture à l’huile et exécutée sur toile et mesurant 57 sur 81 centimètres…«
La voie du Mercure
Cette voie est figurée par le ballon de verre renfermant une masse sombre posée sur un sol également ténébreux, la terre. Ce sol est composé en arrière plan d’un horizon courbe vert sombre. Au premier plan des aiguilles cristallines transparentes tapissent le sol. La cristallisation évoque celle du salpêtre dans de l’eau saturée.
Le ballon de verre est rempli à moitié d’un liquide noirâtre qui semble coaguler de la même manière que les macles du sol. Au centre du ballon une masse amorphe de couleur jaune claire, pleine de circonvolutions, prend l’aspect d’une tête de mort semblable au quadrilobe de la cathédrale d’Amiens. Les zones d’ombres dessinent en effet des orbites oculaires, un os nasal ainsi que le maxillaire gauche.
Nous retrouvons dans le « Mystère des cathédrales » une masse informe qui lui ressemble étrangement. Un flot céleste descend sur cette masse, comme attirée. Fulcanelli disserte longuement sur ce médaillon. Dans le tableau de Julien Champagne une cinquantaine de fines gouttelettes blanches tombent à la surface du bain. Au centre la lumière se fait plus vive. Du sommet de l’amas crânien s’élève les pieds de la jeune femme nue. Les pieds semblent fondus dans le crâne, comme s’ils en sortaient. Ces gouttelettes apportent-elles une vie nouvelle, une régénération au corps ancien, mort ?
Le mystère de ce ballon semble être à ce point central, lieu du mystère.
Quelles matières renferment ce ballon ?
Eugène Canseliet commente le tableau de Julien Champagne et le contenu de son ballon : « Cette apparition, merveilleuse et née de toutes les couleurs, ne se rapporte aucunement, au simple et fort ballon de verre dans lequel le mercure et l’or, en un amalgame savant, sont longuement soumis à la digestion de la voie humide ; celle dont parlent les auteurs, de préférence, puis par analogie avec la route sèche et de l’aridité. »
Le mercure et l’or sont cités comme matériaux de base traditionnels à l’élaboration du Grand Oeuvre alchimique. Un alchimiste contemporain a repris cette idée : Charles d’Hooghvorst (1924 Bruxelles – 2004 Barcelone) explique :
« Je vais dire le secret : il faut dissoudre l’or dans le mercure. La voie humide, c’est au début, l’or est dissous dans le mercure. La voie sèche est à la fin, on cuit les deux . La chrysopée n’est pas la Pierre, c’est la voie des avares. Une fois que vous avez de l’or, qu’en faites-vous ? Irez-vous le vendre ? Le but est la Palingénésie, la re-naissance ! Nous sommes comme Osiris. Il faut renaître et prier Isis. » Le mercure est utilisé dans différentes voies alchimiques, notamment la voie du cinabre, (sulfure de mercure) et l’alchimie indienne.
Julien Champagne, illustrateur des Fulcanelli et alchimiste opératif, mais aussi auteur lorsqu’il commente le manuscrit Yardley, parle aussi du mercure. Il décrit la préparation du mercure des philosophes en partant du mercure vulgaire, le Hg des chimistes. Il termine son petit opuscule manuscrit sur ces mots :
« … un dernier mot, la purification du mercure est pénible et l’on ne peut l’obtenir qu’avec beaucoup de patience. Un kilogramme de mercure vulgaire exige 42 jours de travail. C’est alors le mercure commun des Alchimistes, métal pur que nos chimistes ne connaissent point. D’un brillant extraordinaire et inaltérable, plus dense que le vif-argent, son point d’ébullition est aussi notablement moins élevé. Il ne fait pas la queue et bout sans soubresauts. Dans la distillation en vaisseaux de verre, il court en minuscule gouttelettes sphériques, ne s’attachant pas aux parois, sans jamais laisser derrière lui aucune parcelle d’oxyde rouge.
Telles sont les caractéristiques du mercure commun, Sujet initial du Grand Elixir et de la Pierre des Philosophes.«
J. Champagne Paris Avril 1913 –
Il semblerait que cette voie du mercure et de l’or fut plus qu’une simple chimère pour l’Adepte.
Cristallisation , interférométrie et sous fusion : introduction et préliminaire au chemin de l’Adepte expliqué pour la première fois …
Le destin de l’alchimie s’est confondu avec les procédés de cristallisation qui ont été découverts systématiquement au XIXe siècle par plusieurs savants aussi éminents que Jean-Bapstiste Dumas, Chevreuil, Jacques-Joseph Ebelmen (un compatriote de l’Adepte) Henri Deville et même Pasteur dans ses recherches sur la putréfaction et la chiralité des molécules : « Peu d’alchimistes consentent à admettre la possibilité de deux voies, l’une courte et facile, nommée voie sèche, l’autre plus longue et plus ingrate, dite voie humide… Chimiquement, rien ne s’oppose à ce qu’une méthode…ne puisse être remplacée par une autre utilisant des réactions sèches. » Fulcanelli in Mystère des cathédrales , p 140
Minéral maclé : staurolite : nous aurons l’occasion de développer les arcanes de la voie proposée par l’Adepte. Staurolite en croix de Saint André (voir les nombreux commentaires de ce dernier sur la croix de vie !..)
(à suivre dans notre ouvrage « à l’ombre des chênes, Jules Violle alias Fulcanelli »
prochain article : de la galette des Rois aux secrets de la porcelaine, histoire d’un poêle en Suisse