Toni Wolff, la clé secrète de CG Jung


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CG Jung doit beaucoup aux femmes et à ses femmes, d’abord à Emma qui lui apporta l’aisance et le confort matériel avec sa dot et puis,  et puis … comme dans la chanson de Jacques Brel, il y avait Toni !  un bel amour partagé pendant 40 ans de collaboration.

En effet ce point d’attache que «Ma Vie»  souvenirs, rêves, pensées, ne mentionne pas sous sa forme publiée, était Toni Wolff, une ancienne patiente, poète lyrique et plus tard thérapeute, que Jung décrivit à Freud en 1911 en ces termes :

« Une nouvelle découverte… un intellect remarquable doublé d’une perception excellente de la religion et de la philosophie. »

De treize ans plus jeune que Jung, ce fut elle qui rechercha une relation personnelle avec lui, lui fit connaître la spiritualité orientale et l’aida à libérer son intuition des entraves de son intellect; elle le ramenait à la réalité de la vie quotidienne lorsqu’il se perdait. On pourrait dire que Toni Wolff était l’image du moi féminin et inconnu de Jung, pont et guide pour lui pendant cette période de crise.

« Soit elle ne m’aimait pas et mon sort lui était indifférent, soit elle m’aimait – et certainement elle m’aimait –  alors c’était ni plus ni moins de l’héroïsme. Ce genre de choses ne s’oublie pas et je lui en serai éternellement reconnaissant. »

Emma Jung aurait dit vers la fin de sa vie ces très belles paroles d’amour:

« Je remercierai toujours Toni pour avoir fait pour mon mari ce que ni moi ni personne ne pouvions faire pour lui à ce moment très critique. « 

Leur relation, professionnelle et personnelle, durera quarante ans en parallèle avec le mariage de Jung. Elle était vécue ouvertement, bien que, dans les premiers temps, elle fut souvent pénible pour les deux femmes, jusqu’à ce que soit trouvé un mode de vie acceptable. Emma confia à une amie bien plus tard :

« Vous savez, jamais il ne m’a pris quoi que ce soit pour le donner à Toni ; au contraire, plus il lui donnait, plus il semblait capable de me donner. »

Jung et Toni s’étaient moins vus dans ses dernières années. Elle était, d’une part, moins en vue depuis son départ à la retraite, en 1948, de la présidence du Club psychologique qu’elle avait brillamment assurée pendant vingt ans; et d’autre part, elle souffrait d’une arthrite grave qui ne permettait pas de se retirer à Bollingen, au confort trop primitif pour son état de santé; cependant, elle continua son travail analytique jusqu’au bout. Et, peut-être que, indépendamment des circonstance extérieures, l’intérêt que Jung lui portait s’était amenuisé.

On a dit de Toni Wolff que, «de tous les amis proches de Jung, elle fut celle qui souffrit le plus». Toni dit une fois à Barbara Hannah, son amie et collègue qu’elle ne voudrait en aucun cas survivre à Jung. Lui-même confia de son côté qu’étant donné que Toni était plus jeune de treize ans que lui, «je n’avais jamais sérieusement envisagé la possibilité qu’elle pût mourir avant moi». Son propre état de santé l’empêcha de se rendre aux funérailles, mais Emma fut présente au service commémoratif.

Jung écrivit dans une lettre à une amie : « J’ai effectivement été durement touché par la perte de Mlle Wolff. Sa disparition a laissé parmi nous une lacune que rien ne saurait combler. »

Barbara Hannah décrit la réaction de Jung :

Extérieurement, il resta si calme que sa femme et sa secrétaire me confièrent qu’elles pensaient qu’il avait surmonté le choc au bout de quelques jours. Toutefois, mes notes du mois d’avril 1953 révèlent ce que lui-même disait, à savoir que son pouls battait encore entre 80 et 120, accélération qui subsista pendant un certain temps. Il est vrai pourtant qu’il fut aidé en voyant Toni apparaître dans un rêve qu’il reçut la nuit de Pâques : elle paraissait beaucoup plus grande et jeune qu’au moment de sa mort, elle était très belle; elle portait une robe chatoyant des multiples couleurs d’un oiseau du paradis, avec, pour dominante, le merveilleux bleu du martin-pêcheur. Jung ne vit que cette image, car le rêve ne comportait aucune action; et il fut particulièrement impressionné de recevoir ce rêve la nuit de la Résurrection.

En 1958, Jung entreprit de publier les écrits de Toni Wolff.

Cher Monsieur,

« Je me dois de recommander à votre attention le recueil d’articles de Toni Wolff… Leur valeur ne tient pas seulement à leur contenu intellectuel mais aussi au fait que leur auteur a participé elle-même au développement de la psychologie analytique depuis l’année fatidique 1912 jusqu’à une époque très récente, et elle était donc la mieux placée pour faire part de ses réactions et de son attention aux événements. Ses essais ont donc aussi une valeur documentaire. Même ceux qui n’ont pas connu l’auteur personnellement ont été impressionnés à la lecture de ces essais par la diversité et la profondeur de son esprit et de sa personnalité…« 

Lorsque fut publié le livre de Toni Studies in Jungian Psycholog, Jung écrivit dans l’introduction qu’il «se déchargeait d’une dette de remerciements envers mon amie et collaboratrice pendant plus de quarante ans», qui «prit une part active dans toutes les phases de développement de la psychologie analytique», y compris en «développant des méthodes pratiques d’analyse et… le travail de formulation théorique» en sus d’« une expérience silencieuse en psychologie de groupe… qui constitue la vie du Club psychologique de Zurich ». Il souligna «s a grande intelligence naturelle et sa perception psychologique tout à fait remarquable», ajoutant que «ces essais sont extraordinairement instructifs et stimulants ».

Il conserva l’intimité de leur relation personnelle en détruisant leur correspondance mutuelle. Six ans plus tard, en discutant de l’histoire de la reine de Sheba avec son chroniqueur Miguel Serrano, Jung parla «d’un amour magique non destiné au mariage» et de mariages mystiques qui étaient «en réalité un processus d’individuation mutuelle».

Jung continua, comme s’il se parlait à lui-même, qu’« il y avait une fois une Fleur, une Pierre, un Cristal, une Reine, un Roi, un Palais, un Amant et son Aimée, et cela quelque part sur une île dans l’océan il y a quelque cinq mille ans… Tel est l’Amour, la Fleur mystique de l’Âme. Tel est le Centre, le Soi… »

Jung me donnait l’impression d’être dans une transe.

« Personne ne comprend ce que je veux dire ; seul un poète pourrait commencer à comprendre. »…

Vous êtes un poète ! » lui dis-je, ému par ce que je venais d’entendre. « Et cette femme, est-elle encore vivante ? » demandai-je.

« Elle est morte il y a huit ans… Je suis bien vieux. » Il continuait et n’avait jamais cessé de la chérir tendrement.

weimar_1911

Jung et ses femmes : incroyable photo prise lors du Congrès de Weimar en septembre 1911, assises et de gauche à droite : à l’extrême gauche l’égérie de F. Nietzsche, Lou Andréa Salomé, au centre Emma Jung et à l’extrême droite Toni Wolff.  Trois femmes qui lui vouaient une admiration sans fin. On aura reconnu au dessus et debout, Sigmund Freud et CG. Jung.

 


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