Lotus de Païni et le baptême sanglant
Lotus de Païni est le nom de plume de Elvezia Gazzotti (née italienne, Copparo, petit village au nord-est de Ferrare, le 28 novembre 1862; décédée à l’hospice de Fumel, près de Puy-Lévêque (Lot), le 22 juillet 1953). Nous empruntons à Marc Le Gouard ces quelques éléments de biographie (la suite dans le livre).
Elle s’éteint à 91 ans en pleine lucidité et ne cesse encore de consigner de feuillet en feuillet l’objet saisissant de ses visions intuitives et raisonnées, un perpétuel mouvement de pendule entre l’ancien âge d’or de l’humanité et aujourd’hui, un passé si lointain que seul un pouvoir de conteuse a pu réactiver dans notre actuel environnement mental. Elle signera « Lotus » (apparue dès 1889), fleur emblématique de la spiritualité bouddhique et théosophique, liée à l’éveil des chakras, elle est un symbole – et pour notre auteur un véritable Numen Mysticum – qui caractérise bien le mécanisme à l’œuvre dont les livres seront le fruit : le Lotus, ou nénuphar rouge, plonge la nuit au plus profond des eaux de la mémoire, pour ramener celle-ci au matin et au jour à la visibilité de tous.
Dans cet extrait nous délivrons sa conception qui va de la sève au sang. Ce qui est sève pour la plante se transpose dans le sang pour l’animal puis l’homme. Ce sont des arcanes de la transmutation des organismes.
En 1914, Lotus Péralté fait paraître « Les Premières Phases d’un Mouvement de l’Esprit » (en allemand, chez Max Altmann, Leipzig ; en français, chez Sansot. Paris), essai historique sur l’évolution de l’acclimatation de la pensée bouddhiste et brahmanique en Occident du XVIIIème siècle à nos jours ; mais en fait il s’agit d’un déguisement pour un fervent manifeste qui est une défense de l’Anthroposophie naissante, maillon actuel qui intègre la christologie et l’histoire culturelle européenne et prend le relais du courant théosophique qui se fossilise dans une vue trop strictement orientale.
En 1914, toujours, Edouard Schuré, également ébloui par l’Anthroposophie et par Rudolph Steiner, ouvre à Lotus Péralté les portes de son éditeur, Perrin, pour la parution de L’Esotérisme de Parsifal.
L’Esotérisme de la Vieille Légende du Cycle d’Anus. Suivis d’une traduction du Parsifal de Wagner. L’essai introductif est imprégné des conférences de Steiner mais aussi de folklore et de mysticisme gnostique, et la plume court, décolle dans des envolées teilhardistes avant l’heure, en train de se livrer déjà à ses propres intuitions en utilisant les influences dans lesquelles elle plonge ici (l’Anthroposophie, l’anthropologie, la pensée gnostique), comme des tremplins vers sa propre vision qu’elle maîtrisera totalement dix ans plus tard.
L’envergure de la personnalité de Rudolph Steiner, son pouvoir d’évocation visuelle, son charisme, ses connaissances encyclopédiques qui semblent sans limites, la singularité de son enseignement guidé par sa propre clairvoyance, son caractère profondément artiste – ne sculpte-t-il pas lui-même, ne peint-il pas lui-même, n’indique-t-il pas lui-même, physiquement, les mouvements gestuels de l’Eurythmie… Tous ces éléments frappent la sensibilité de Lotus Péralté, qui s’engage corps et âme dans l’aventure anthroposophique à laquelle elle croit ardemment
Le baptême totémique (extrait)
« A l’aube, tout s’accomplit dans le SANG.
La souffrance physique n’existe pas, du fait même de l’exclusif psychisme de la constitution des êtres, êtres au grand halo d’antennes sensitives irradiant en dehors des corps. Cette intense extériorité rendait ces êtres insensibles corporellement.
Le sang, dans toute la magie, était l’élément essentiel. Saturé de l’intense psychisme de la créature, il ruisselait de germes vivants, de sève élémentaire, « d’effluences » qui fécondaient puissamment. Les Esquimaux de la terre de Baffin et de la baie d’Hudson parlent de ces effluences lorsqu’ils disent : « les âmes des animaux de la mer sont douées d’une plus grande puissance que les âmes ordinaires. Elles sont « visionnaires » et peuvent voir l’effet du sang humain qui coule et duquel s’élève une vapeur qui entoure la personne qui saigne, (vapeur) qui se communique à chacun et à chaque chose qui entre en contact avec cette personne ».
Plus on s’éloigne des temps historiques, plus on s’enfonce dans les lointains fabuleux, plus par conséquent le sang à de saveur originelle métamorphosante. Dans ces brumes lointaines le sang est une sève très chaude qui se mêle à la force élémentaire, essentiellement réceptive et plastique, de l’être enveloppé dans la magie du rite ; c’est un prodigieux agent de transmission occulte, une puissance propulsive, fascinante, grisante !… Le Sang imbibe profondément les éléments primitifs de volonté humaine.
Dans le vieux monde historique, l’oracle cherche encore l’inspiration dans la coupe du rite, remplie de sang. Le Sang Greal merveilleux nous apporte la mystérieuse tradition.
Encore aujourd’hui le sang est le grand élément vivant de chaque rite. On le fait couler du bras et surtout de la subincision uréthrale et on en pétrit les figurations totémiques . C’est la source du MANA, la sève, la volonté, « l’intelligence » de l’ancêtre.
Dans les lointains, outre la circoncision sanglante du prépuce on incisait profondément dans les régions inférieures de la colonne vertébrale. Le plexus sacré était labouré de ces incisions, les parties épilées étaient écorchées et, sur les chairs béantes, saignantes, puissamment émanentes du jeune sujet, extériorisé jusqu’à l’extrême parce que pris, fasciné par les mystérieuses plasticités psychiques du drame occulte, on versait le sang chaud, chargé de sève, lourd d’effluences psychiques de l’animal-totem rituellement immolé. C’était le Baptême sanglant, celui de l’aube humaine, LE VRAI,… celui qui donna à l’homme de l’origine son NOM RÉEL d’ÂME : aigle, ours, sanglier, hippopotame, etc… selon la haute essence occulte qu’il avait absorbé dans le mystère totémisant. Ce baptême était une « transfusion de sang » totémique. Ceci est extrêmement intéressant pour nous intellectuels, en tant que nous considérons aujourd’hui le sang de l’animal comme mortel pour l’homme. Ce rite de l’origine humaine est donc révélateur de toute la sympathie biologique qui existait à cette origine entre l’animal-totem et l’homme d’alors, si proches l’un de l’autre que leurs sangs pouvaient impunément se mélanger.
Le nom était alors une simple résonance, le SON occulte qui avait vibré longuement dans ce mystère animal ; c’était le SON psychique profond, intime, de l’étrange métamorphose vécue dans le sang, le son même des harmonies intérieures de ces deux êtres très simples, l’homme et l’animal, résonnant très haut sous la pression rituelle, c’était une première RÉSONANCE humaine, vivante, puissante, une résonance qui était ainsi une partie intégrante de la créature initiée, son NOM même d’âme et de sang, c’était une résonance par conséquent magique, qui la mettait à la merci de celui qui pouvait proférer son nom ; c’est pourquoi, dans les légendes et dans les vieilles traditions, le NOM VÉRITABLE est regardé comme la partie la plus importante de la personne et on ne le prononce jamais, il est strictement « tabou »… Isis cherche, par tous les moyens possibles, à trouver le nom réel du dieu solaire « Ra » afin de lui redonner, en le prononçant, la vie, car le vieux dieu s’éteint, mais elle ne le sait, ce nom, que le jour où le dieu le lui révèle lui-même.
Aujourd’hui encore, dans les tribus australiennes du centre, le nom véritable « est strictement tabou », on ne le prononce jamais.
Dans ces tribus existent encore certaines coutumes sur le nom, coutumes qui doivent être regardées comme un développement de a langue humaine, tout à son origine. Aujourd’hui que le baptême sanglant totémique n’existe plus dans ces tribus, par la raison qu’elles sont très loin de leurs origines et qu’elles sont complètement totémisées, on donne à l’enfant, dès sa conception, le nom de l’ancêtre. Ce nom est tabou et n’est jamais prononcé. excepté en de très rares occasions rituelles, par les hommes du clan auquel appartient l’enfant. Ce « nom véritable » est dessiné sur un tjurunga, qui est fait d’une écorce longue, creuse et qui est le symbole de l’épine dorsale de l’enfant, ce tjurunga est caché dans le creux d’un rocher d’où on ne le sort qu’au moment de l’initiation de l’enfant devenu garçon, son « nom véritable » lui est alors révélé ; l’initiation terminée, le possesseur recache de suite le tjurunga.
Pour la vie courante on a donné à cet enfant le nom de « rémanence occulte» de l’endroit où il est né. Il garde ce nom pendant toute sa vie. A sa mort ce nom courant est taboué à son tour, il n’est plus prononcé, il est remplacé par un autre nom d’essence encore occulte que lui donne une vieille femme inspirée par les forces élémentaires.
Les animaux ont, eux aussi (à l’exclusion du nom de l’ancêtre), un nom inspiré du psychisme qu’ils dégagent et, lorsqu’ils meurent, on substitue à ce nom, devenu tabou, un autre nom également de source psychique.
Tous ces noms deviennent par cela des éléments de la langue, les éléments psychiques. Aujourd’hui cette succession de noms, bien que très curieuse dans sa complexité n’est qu’une survivance, mais, à l’origine, elle forma les racines occultes de la langue humaine.
Les racines des langues mères ont une genèse psychique, elles se dégagèrent dans l’extrême lointain de la plus intime essence de l’occulte « sonore » des rites magiques. Elles ont du Sang en elles.
Le baptême totémique est donc un baptême de sang, « le réel », le premier baptême, le premier sacrement qui allait profondément jusque dans les fibres les plus intimes de l’être, donnant à cette créature anonyme son vrai nom d’âme, dans la fascination, la chair et le sang ; ce fut le baptême qui la SACRA HOMME. »