Dans un ouvrage publié en 1898, à l’issue de trente-cinq années de fouilles dans la Marne, Léon Morel, receveur des Finances en retraite à Reims, relate notamment les découvertes faites en 1868 par Charles Leboeuf dans une sépulture gauloise située à l’est du cimetière d’Etrechy, au lieu-dit Montaignesson (canton de Vertus, dans la Marne). Dans les pages de son livre, Morel rend compte des renseignements recueillis et reproduit le dessin des objets exhumés par son prédécesseur. On y apprend ainsi qu’à environ quatre kilomètres de Vertus, se trouve un vaste champ de sépultures découvertes vers 1845, lors de la préparation de cette lande pour y faire des semis de sapins. Elles livrèrent beaucoup de squelettes, de vases en terre et d’anneaux en bronze. C’est en retournant sur les lieux, quelque vingt-trois ans plus tard, que Charles Leboeuf découvrit le fragment d’assiette portant l’inscription qui nous intéresse.
Voici ce qu’il en dit :
« Là, parmi les sapins, il me fut aisé de reconnaître que le sol avait été fouillé jadis, et des fragments d’ossements humains blanchis par l’air et verdis par le contact du bronze, m’indiquaient que j’étais sur un champ de sépultures antiques. A en juger par plusieurs fosses déjà fouillées, et veuves des objets qu’elles avaient dû contenir, je remarquai par les ossements bouleversés, que plusieurs de ces sépultures étaient polyandriques. Parmi les ossements d’une de ces fosses, je ramassai un morceau de poterie brune ; sur son bord extérieur étaient gravés en creux les caractères suivants (voir planche 20) […] Cette inscription est au musée de Saint-Germain-en-Laye. Présentée en 1871 à M. Diez, le savant censeur du lycée d’Angers, il me dit : « Ces caractères ne me semblent pas grecs, ils me paraissent plutôt runiques, scandinaves ou germains. » Et prenant un alphabet runique des frères Grimm, M. Diez m’y montra des caractères présentant une grande analogie avec mon inscription de Montaignesson. Chacun des caractères pris isolément, et d’après la traduction Grimm, présente un sens symbolique très en rapport avec l’austérité d’un champ de sépulture. » (Morel, page 102)
Glozel et la langue de Babel, introduction à l’épigraphie gauloise
Epigraphie = étude des inscriptions réalisées sur des matières non putrescibles telles que la pierre. Les inscriptions trouvées à Glozel sont-elles des vestiges datés du paléolithique ou tout simplement plus proche de nous ? Plus récemment le verdict des datations par thermoluminescence a tranché pour une période allant de – 700 jusqu’à l’époque médiévale ! Les débris en verre font état de techniques remontant à la période celte avec des évolutions jusqu’aux maitres verriers du XIIème siècle. (voir les Maitres verriers de Glozel). Il co,vient de signaler qu’une partie des inscriptions sont des recopies faites par des artisans n’en comprenant plus le sens mais qui les recopiait aussi fidèlement que possible dans un esprit de dévotion.
L’épigraphie gauloise se présente d’une manière diversifiée au cours de l’Age du fer, en périodes de Hallstatt (800-400 av. J.-C.) et de La Tène (400-52 av. J.-C.). Les tribus des Gaulois au midi de la Gaule empruntèrent, à partir d’environ 300 av. J.-C., l’alphabet des Grecs de Massalia (Marseille) et ils écrivirent leurs textes gaulois en écriture grecque. Les textes gaulois du centre de la Gaule étaient inscrits à partir d’environ 100 av. J.-C. en écriture latine. Tite-Live raconte qu’une partie de la tribu gauloise des Bituriges Cubi, établie dans le centre de la Gaule, au nord-ouest de Glozel (dans le Berry actuel), se déplaça vers 400 av. J.-C. – accompagnée d’autres peuples voisins, notamment les Insubres (Insubri) détachés des Eduens (Aedui) – vers la plaine du Pô en direction de Mediolanum (aujourd’hui Milan). Là, ces Gaulois entrèrent en contact avec les Lépontiens qui parlaient le lépontique, langue celtique apparentée au gaulois.
L’inscription de Prestino justifie cette position. sur l’épigraphie gauloise.
L’inscription de Prestino est un texte épigraphique gravé sur un linteau de pierre calcaire. La pièce archéologique a été découverte en 1966, dans le cadre d’une prospection préventive, au sein des eaux fluviales parcourant la ville de Lugano, en Italie. Des recherches ultérieures ont permis d’attester que le linteau de calcaire était partie intégrante d’un gradin dont on a retrouvé les vestiges sur le flanc d’une colline, située au cœur du hameau comasque Prestino di Como.
Quoique non-traduite, l’épigraphie inscrite sur le petit bloc rocheux a fait l’objet d’une transcription en 1982, sous l’égide du linguiste italien Alessandro Morandi. Cette analyse a révélée que l’écriture est une dédicace dont les caractères procèdent d’un alphabet de type celto-italiote : l’alphabet lépontique. Par ailleurs, la datation radiocarbonée du linteau a permis d’attribuer l’artefact aux environs de 500 av. J.-C..
Le linteau à vocation épigraphique est l’un des rares témoignages qui puisse confirmer de manière indubitable la présence de peuples celtes au sein du territoire nord-italien et ce, avant le IVe siècle av. J.-C..
Les Celtes d’Italie du Nord et l’alphabet étrusque
Ce sont les Celtes de la culture de Golasecca en Italie septentrionale, dans le Piémont et la Lombardie – prédécesseurs directs des Insubres – qui avaient adapté un alphabet étrusque du Nord pour enregistrer les premiers une langue celtique à la période de Hallstatt au VIle siècle av. J.-C. A la période de La Tène, à partir du Ve siècle av. J.-C., les Lépontiens écrivaient leurs textes dans un alphabet apparenté, qualifié de lépontique ou alphabet de Lugano. Les Gaulois immigrés du centre de la Gaule empruntèrent l’alphabet lépontique aux Lépontiens et formèrent pour leur langue gauloise un alphabet gaulois cisalpin. Entre la Gaule cisalpine et la Gaule transalpine s’instaura par la suite un échange culturel, dont une première manifestation fut l’importation des alphabets lépontique et gaulois cisalpin en Gaule et donc à Glozel. En ce qui concerne la Gaule, on connaît une certaine quantité d’inscriptions, dont l’origine devrait être un alphabet étrusque du Nord, et qui montrent de grandes similitudes avec les signes de Glozel. On connaît bien les textes sur pierre de Cluzel, Palissard, Montcombroux et Montmarault dans l’Allier, et il y a l’inscription de Carpentras en Vaucluse sur une plaque de plomb.
DACHDU : le déchiffrement de l’inscription
L’échange culturel des Celtes transalpins avec des Grecs et Étrusques ainsi qu’avec les Lépontiens de la Celtique cisalpine a été la résultante d’une longue tradition. L’importation des alphabets de l’Age du fer en Gaule a dû permettre aux Gaulois de développer leurs alphabets propres pour l’écriture, dont l’existence est inconnue à l’heure actuelle.
Un premier déchiffrement du texte à partir du dessin (suggérant une lecture dextroverse) a été tenté en comparant les signes avec les alphabets de l’Age du fer. La lettre <d> devrait être empruntée à l’alphabet grec de l’Ouest, le symbole <a> apparaît en lépontique (qui est un alphabet étrusque du Nord) et le signe d’une échelle <H> présente une grande similitude avec la lettre <h> d’un alphabet étrusque. On peut ainsi lire le nom DAHDU. Par ailleurs, la lettre <h> pourrait être échangée avec un <g> pour écrire le nom DAGDU, ou la lettre <h> pourrait être utilisée aussi pour <cc>, et on aurait alors le nom DACCDU, à comparer à l’idionyme DACCIK dans le texte DACCIK VIAO d’une inscription sur une estampille en céramique gallo-romaine trouvée à Chartres, Eure-et-Loir
Un deuxième déchiffrement à partir du dessin, également dextroverse, a été essayé avec l’alphabet de Glozel. On y peut lire les lettres <d>, <a>, <ch>, <d> et <u>, c’est-à-dire DACHDU. Quant au signe en forme d’échelle <H>, il montre une grande parenté avec la lettre phénicienne cheth
La parenté de l’inscription de l’assiette de Montaignesson avec l’alphabet de Glozel s’affirme vraiment par le signe d’échelle <H> à deux barres horizontales, ce qui est unique et ne se retrouve que là. Les lettres <d>, <a> et <u> sont à comparer avec les symboles de l’Age du fer ainsi qu’avec l’alphabet de Glozel. Quant au premier symbole du texte, nous pensons qu’il est préférable d’y voir une lettre <d> plutôt qu’un <k> incertain sur la photographie ; et une lecture DACHDU ou DAHDU semble d’une grande probabilité en termes de dédicace. En tout cas, il devrait s’agir d’un alphabet gaulois spécifique de l’époque de La Tène, importé de la Gaule cisalpine.
sources : Patrick Ferryn & Hans Rudolf Hitz
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