« Trois espèces de très belles fleurs doivent être cherchées et trouvées au fond de ce jardin des philosophes : des violettes rouge vif, un lys blanc et l »amarante pourpre et immortelle. » Œuvre secret, chap. 53
Alexandre Sethon et les travaux du Savant :
Texte de Jacques Van Lennep :
Quelques figures romanesques apparurent encore, comme celle d’Alexander Seton. Cet Ecossais,connu sous le nom de « Cosmopolite », quitta Edimbourg en 1602 pour rejoindre, près d’Amsterdam, Jakob Hanssen qu’il avait recueilli un an plus tôt, lors d’un naufrage. Pour le remercier de son séjour, Seton lui offrit une pièce d’or transmutée sous ses yeux. Ensuite, il apparut à Bâle, Strasbourg, Francfort, Cologne, Hambourg, Munich où ses exploits attirèrent l’attention de Christian Il, électeur de Saxe. Celui-ci le fit venir à Dresde où il le tortura pour lui arracher son secret, mais en vain. Il l’oublia dans un donjon jusqu’à ce qu’un autre adepte, Michel Sendivogius entreprit de le libérer. L’évasion réussit et les deux compères gagnèrent Cracovie au plus vite. Seton y mourut le dernier jour de 1603 ou le premier de 1604, après avoir offert sa poudre de projection à son libérateur. Sendivogius qui passa pour Polonais, était en fait Morave. [Micigno P., Michael Sendivogii Leben…, Hamburg, 1683 ; Hubicki W., Michael Sendivogius’s Theory, its Origin and Significance in the History of Chemistry, in : Proceedings of the Tenth International Congress of the History of Sciences, Paris, 1964]
Né en 1566, Sendivogius, échangea avec Rodolphe II, une partie de sa poudre contre le titre de conseiller. Auréolé de prestige, il alla ensuite transmuter devant le roi Sigismond à Varsovie, puis le duc de Wurtemberg. Frédéric Müllenfels, un alchimiste évincé, l’avertit que le duc envisageait de lui arracher son secret par la force. En fait, il ne s’agissait que d’un stratagème pour forcer Sendivogius à s’enfuir et lui voler sa poudre sur la route. C’est ce qui advint. Sur plainte de Sendivogius, Rodolphe II intervint auprès du duc qui fit pendre Müllenfels en 1607.
Nouvelle lumière chymique :
Michel Sendivogius serait l’auteur de la Nouvelle Lumière Chimique.
La Nouvelle Lumière Chymique est une oeuvre supérieure, l’une de celles qui résistent aux interprétations hâtives et qui restent muettes pour les étudiants plus pressés de résultat que de philosophie. L’introduction s’ouvre par des phrases vides de sens pour qui n’a jamais ouvert son esprit à un texte hermétique. Voyons quelques extraits :
« Il n’y a pas longtemps, et j’en parle comme savant, que plusieurs personnes de grande et petite condition, ont vu cette Diane toute nue. » [Introduction]
Les Adeptes ont ce pouvoir, souvent fascinant, de dire des choses banales là où ils expliquent les vérités de l’Art. Ainsi, les personnes de haute condition [eugeneia] représentent par cabale eugeioV [sol fertile] qui désigne le principe Terre et indique un limon boueux d’où l’on peut extraire et le Sel et l’un des Soufres rouges.
« Et quoiqu’il se trouve quelques personnes qui, par envie, ou par malice, ou par la crainte qu’ils ont que leurs impostures ne soient découvertes, crient incessamment que, par un certain artifice qu’ils couvrent sous une vaine ostentation de paroles fastueuses et ampoulées, l’on peu extraire l’âme de l’Or et la rendre à un autre corps : ce qu’ils entreprennent témérairement et non sans grande perte de temps, de labeur et d’argent. » [Introduction]
Encore un passage entièrement tissé de cabale. L’Âme de l’or, c’est la quintessence, c’est-à-dire le « cinquième élément » ou chaux métallique que les Anciens ne pouvaient pas réduire à l’un des Quatre Eléments. Car cette chaux procède à la fois de la Terre par son origine, de l’Eau par son devenir, de l’Air par cabale et du Feu, par artifice.
« Au contraire, je puis assurer avec raison que celui qui pourra, par voie philosophique, sans fraude et sans déguisement, teindre réellement le moindre métal du monde, soit avec profit, ou sans profit, en couleur de Sol ou de Lune, demeurant et résistant à toute sorte d’examens requis et nécessaires, aura toutes les portes de la Nature ouvertes pour rechercher d’autres plus hauts et plus excellents secrets […] » [Introduction]
Le Soleil et la Lune ont des sens bien différents selon les phases de l’oeuvre et souvent d’un alchimiste à l’autre. Néanmoins, des constantes sont retrouvées, permettant de dénouer l’écheveau de l’entrelacs que les Adeptes ont tissé avec plus d’envie que de malice. Les articles du Dictionnaire mytho-hermétique nous seront ici de quelque secours. L’article Lune a déjà été cité dans le commentaire que nous avons donné de la Lettre aux vrais disciples d’Hermès, de Limojon de Saint-Didier.
Voici pour le soleil :
La grande divinité des Egyptiens, des Phéniciens, des Atlantes, etc. fut honorée sous divers noms chez les différentes Nations. On le confondit presque partout avec Apollon, et on lui donnait la même généalogie. Chez les Chymistes le Soleil est l’or vulgaire. Les Philosophes appellent soleil leur soufre, leur or. Le Soleil des Sages de source mercurielle, est la partie fixe de la matière du Grand Oeuvre, et la Lune est le volatil ; ce sont les deux dragons de Flamel. ils appellent encore Soleil le feu inné dans la matière. Comme le volatil et le fixe sont tirés de la même source mercurielle, les Philosophes disent que le Soleil est le père, et la Lune la mère de la pierre des Sages. Quelquefois, ils l’entendent à la lettre quand ils parlent de la matière éloignée de l’oeuvre, parce qu’il s’agit alors de cette vapeur que le Soleil et la Lune célestes semblent former dans l’air, d’où elle est portée dans les entrailles de la terre pour y former la semence des métaux, qui est la propre matière du Grand Oeuvre. Les Adeptes ont fonné par similitude et par allégorie les noms d’arbre solaire et d’arbre lunaire au soufre rouge, et au soufre blanc qu’ils font pour parvenir à la perfection de leur poudre de projection. Voyez Arbre. [Dictionnaire]
On voit de quelle manière les alchimistes ont embrouillé cette histoire de soleil et de lune : on peut y voir aussi, ce que Pernety ne dit pas ici mais ailleurs, dans ses Fables Egyptiennes et Grecques, des symboles égyptiens, en l’espèce Osiris et Isis. Il est intéressant de noter que Pernety emploie l’expression « feu inné de la matière ». C’était à l’époque de la théorie du phlogistique de Stahl mais il n’est pas douteux que les alchimistes, dans leurs incessantes opérations, aient réussi des réactions d’oxydo-réduction où des substances changeaient de couleur, soit du fait de la réaction chimique, soit du fait de la température plus ou moins élevée.
« Au reste, j’offre aux enfants de la Science ces présents Traités, que je n’ai écrits que sur ma propre expérience, afin qu’en étudiant et mettant leur application et toute la force de leur esprit à la recherche des opérations cachées de la Nature […] » [Introduction]
Voila qui pourrait faire se méprendre sur les traités que l’on doit à Alexandre Sethon. Répétons qu’il est l’auteur de trois traités qui ont été réunis, manifestement après son décès, peut-être par Sendivogius. Il s’agit de la Novum lumen chymicum, de l’ Aenigma philosophorum, et enfin du Dialogus Mercurii, Alchylistae et Naturae. Le traité sur le Soufre qui lui est imputé est un ouvrage supposé qui a sans doute été compilé par Sendivogius, et le traité sur le Sel est de la main du sieur de Nuysement.
« Les personnes de cette farine ne seront jamais admis dans les plus secrets mystères de ce saint Art : parce que c’est un don de Dieu auquel on ne peut parvenir que par la seule grâce du Très-Haut, qui ne manque pas ou d’illuminer l’esprit de celui qui la lui demande avec une humilité constante et religieuse, ou de la lui communiquer par une démonstration oculaire d’un maître fidèle et expert […] » [Introduction]
Il y a là encore jeu de mots, car la farine a un sens caché où l’on devine des subtances porphyrisées, qu’il est essentiel d’obtenir pures dans la préparation des strass colorés [voir la voie humide]. Voyez aussi ce que nous disons sur la farine [voir ce mot en recherche] lors de l’examen du Triomphe hermétique. Quant au don de Dieu, nous avons rabaché dans ces pages qu’il fallait y lire un don du Soufre, à cause de l’assonance entre les mots qeion et qeioV qui montre que l’une des matières premières est un sulfure, ou plutôt un sulfate. On peut gager d’ailleurs qu’il s’agit de deux sulfates, l’un s’obtenant à partir d’un limon boueux, le « glais » dont parle E. Canseliet dans ses Etudes de symbolisme alchimique [Alchimie, JJ Pauvert], l’autre s’obtenant à partir d’un minéral connu sous le nom de « pierre de Jésus ». Quand Sethon dit que Dieu ne manque pas « d’illuminer l’esprit », il parle d’or parce qu’il nous précise la façon de spiritualiser le Mercure [principe Esprit]. L’humilité constante est le propre des personnes qui se courbent vers la terre : c’est indiquer par là l’origine chthonienne de l’un des Soufres. Enfin, la démonstration oculaire qui « rend l’occulte manifeste » exige de bonnes lunettes, dont est assurément pourvu un vieillard qu’éclaire la lanterne qu’il porte de la main gauche, tout en se guidant d’un bâton qu’il tient de sa main droite, tandis qu’il avance prudemment sur un sentier boueux, en suivant les empreintes de Diane aux cornes lunaires. C’est l’emblème XLII de l’Atalanta fugiens de Michael Maier qui permet de comprendre le sens du mot stibew et qui donne la clef de la connaissance du véritable stibium de Tollius et de l’antimoine saturnin d’Artephius…En un mot, notre vieillard suit à la trace les pas de la Lune cornée.
L’introduction de la Nouvelle Lumière chymique se termine par cette maxime :
« La simplicité est le vrai sceau de la Vérité. »
La cabale hermétique permet de trouver une traduction lumineuse de cette phrase qui, en elle-même, peut paraître creuse mais qui, pourtant, est de circonstance. Voici pourquoi : tous les grands Adeptes nous disent que l’œuvre se fait avec une seule matière, un seul fourneau, un seul feu et même, certains vont à dire, d’un seul régime : savoir cuire et décuire. La simplicité renvoie donc à quelque chose qui est unique, seule, simple. Or en grec, seul se dit ioV [un seul, un, une seule part] homonyme de ioV [venin, rouille du fer, vert-de-gris] et en proche assonance phonétique de ion [violette, violette noire, d’un bleu ou d’un violet sombre]. Voici ce que l’on trouve dans Geber :
« Au reste le Soufre se sublime, parce que c’est un Esprit. Si on le mêle avec Vénus, et que des deux on en fasse une Composition, on en fait une couleur violette fort belle. Il se mêle tout de même avec le Mercure, et par la cuisson il s’en fait un Azur fort agréable. » [Somme de perfection]
Geber nous explique l’allégorie de la sublimation des colombes de Diane que le Philalèthe a caché sous des hardes épaisses. S’il parle du Soufre comme d’un Esprit, c’est que nous en sommes au stade de la dissolution radicale, de la putréfaction, dont la couleur traditionnelle est le noir violet, couleur que prend l’azur au sommet des plus hautes montagnes. La Vénus qu’évoque Geber n’a rien à voir avec Aphrodite, car il parle ici de Saturne, nom que porte aussi Vénus en cette époque de l’oeuvre. Mais sur la couleur violet elle-même, relisez ce qu’on en dit, en citant Chevreul, dans le commentaire qu’il donne d’un traité supposé d’Alphonse X. Voyez aussi ce que Jean d’Espagnet dit des couleurs fondamentales de l’oeuvre :
« Trois espèces de très belles fleurs doivent être cherchées et trouvées au fond de ce jardin des philosophes : des violettes rouge vif, un lys blanc et l »amarante pourpre et immortelle. » [Oeuvre secret, chap. 53]
Et l’on se tromperait en confondant ces violettes avec l’amarante pourpre ou Immortelle, qui clôt la Grande coction. Le sceau renvoie au « sceau du secret », c’est-à-dire à aporrhtoV, que l’on peut rapprocher de aporrew ou de aporron qui désignent une substance qui coule (respectivement : couler de, découler et rejeter, avec l’idée de jeter au rebut, c’est-à-dire expulser – c’est le même sens que l’on trouve en latin avec cado et cassito, proche de cassis, casque. Enfin, la Vérité se dit alétheia : le symbole de la Vérité était un ornement en saphir que portait le grand-prêtre égyptien. Voila qui donne à réfléchir quand on sait qu’Alexandre Sethon recherchait, à un moment, du lapis-lazuli avec lequel on peut imiter un saphir…
Il serait fastidieux de rechercher toutes les occurrences où Fulcanelli et E. Canseliet citent Sethon. Mais le destin exceptionnel de notre savant doit nous conduire à examiner soigneusement toutes les pistes, tous les chemins que d’autres ont été amenés à emprunter en lisant ses oeuvres. Dans Myst. , Fulcanelli donne indifféremment au Cosmopolite le nom de Sethon ou de Sendivogius, ce qui ne laisse pas d’étonner.
« Le sage trouvera notre pierre jusque dans le fumier, écrit le Cosmopolite, tandis que l’ignorant ne pourra pas croire qu’elle soit dans l’or. » [Myst, p. 60]
C’est un passage des plus importants, car le fumier contient un sel qui le situe dans la sphère de Vénus-Aphrodite . On pourrait penser que l’allusion au fumier est anodine mais il n’en est rien, d’autant que sa seconde thèse portait précisément sur l’usage de la fermentation des fumiers !…
à suivre …